Marine nationale : Des ruptures temporaires de capacité qui risquent de devenir définitives

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Cela fait plusieurs fois que l’amiral Bernard Rogel, son chef d’état-major (CEMM) l’affirme : l’activité de la Marine nationale va au-delà du contrat opérationnel qui lui a fixé le dernier Livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale, publié en avril 2013.

Et cela oblige à faire des choix étant donné qu’il manque à la Marine nationale les moyens nécessaires pour assumer l’ensemble de ses missions, dont celles relevant de l’Action de l’État en mer, aussi importantes que les interventions sur les mers du globe. Ainsi, pour engager une frégate dans l’opération Sophia, lancée par l’Union européenne pour casser le modèle économique des passeurs de migrants, il a fallu qu’elle se retire de la mission de lutte contre la piraterie « Atalanta » dans l’océan Indien.

Par ailleurs, lors don prochain déploiement le groupe aéronaval constitué autour du porte-avions Charles de Gaulle aura une connotation internationale étant donné qu’il comprendra des frégates australienne, belge et britannique. Il sera difficile, dans ses conditions, de parler d’autonomie « stratégique »….

En outre, la Marine nationale a dû annuler plusieurs participations à des exercices de grande ampleur organisés et réduire l’entraînement de ses équipages, en deçà des normes fixées par l’Otan.

Comme l’a souligné l’amiral Rogel, lors de son audition par les députés de la commission de la Défense, dans le cadre de l’examen des crédits alloués aux forces armées, ce « dépassement du contrat opérationnel s’opère à budget constant ».

Et de préciser : Nous dépendons en effet très peu du BOP [ndlr, budget opérationnel de programme] OPEX dans la mesure où dans leur définition ‘technocratique’ les OPEX sont avant tout des opérations aéroterrestres : en 2014, l’activité de la marine n’a ainsi été couverte qu’à hauteur de 2 % par les crédits OPEX, ce qui signifie que nos opérations à l’extérieur ne sont quasiment financées que par le PLF [ndlr, loi de finances initiale]. Il nous importe tout particulièrement qu’il soit au rendez-vous sur les crédits permettant l’activité des forces. »

Cette suractivité de la Marine nationale par rapport à son format actuel est rendue compliquée par l’indisponibilité de certains de ses matériels parmi les plus anciens. C’est notamment le cas des Atlantique 2, des hélicoptères Lynx et Alouette III (le CEMM a dit attendre avec impatience l’hélicoptère interarmées léger) ou encore des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) de type Rubis, lesquels seront progressivement remplacés par ceux de la classe Barracuda.

« Les Aviso A69 et les patrouilleurs de service public sont également touchés par le vieillissement, ce qui peut conduire à des ruptures nettes de disponibilité, comme cela s’est produit à Cherbourg après que le patrouilleur de surveillance des pêches Cormoran a pris un ‘coup de tabac’ et s’est trouvé immobilisé pour un bon moment », craint l’amiral Rogel.

« Ces choix de vieillissement résultent d’arbitrages assumés, mais ils n’en viennent pas moins compliquer l’actuel dépassement du contrat opérationnel », a-t-il dit.

D’autres problèmes affectent des matériels plus récents, comme l’hélicoptère NH-90 « Caïman », qualifié d' »exceptionnel » par l’amiral Rogel car il va « bouleverser la lutte anti-sous-marine ». Cependant, cet appareil « pêche par sa jeunesse » car il « présente des défauts de corrosion », en raison d’une « perte de compétence de l’industriel ». Pour autant, un « plan » a été mis en place pour y remédier.

Plus généralement, l’amiral Rogel a estimé qu’il faudrait rédiger un Livre blanc sur la défense « tous les cinq ans », au vu de l’évolution et de la multiplication des menaces. « Mais un outil militaire se construit dans la durée. Il ne s’agit donc pas de donner un coup de barre à chaque révision – les coups de barre ne sont jamais bons, c’est le marin qui parle – mais de réorienter », a-t-il dit.

D’où la question du programme BATSIMAR (Bâtiments de surveillance et d’intervention maritime), censé remplacer notamment les patrouilleurs P400. La LPM 2009-2014 prévoyait de le lancer, ce qui n’a pas été fait. Celle actuellement en cours a renvoyé le dossier celle à la suivante. Or, il y a maintenant urgence.

« Il faudra se pencher sur le programme BATSIMAR (…). En effet, si nous attendions 2024, nous serions en ‘rupture globale temporaire de capacité’, car tous les patrouilleurs outre-mer vont s’éteindre les uns après les autres », a fait valoir l’amiral Rogel.

D’autant plus qu’il « faut tenir compte non seulement des nouvelles zones à protéger et des événements climatiques mais aussi des problématiques de souveraineté » car si la Marine n’est pas présente dans l’ensemble de la zone économique exclusive (ZEE, domaine maritime), « d’autres viendront l’occuper à notre place », a expliqué le CEMM.

« Aujourd’hui, nous faisons régner l’ordre, notamment en mettant dehors des pêcheurs asiatiques illégaux, mais si nos patrouilleurs ne sont pas remplacés – et c’est également vrai pour les patrouilleurs métropolitains –, nous rencontrerons des difficultés, car ils sont un élément important de l’action de l’État en mer », a prévenu l’amiral Rogel.

Enfin, s’agissant de l’extension récente de la superficie de la ZEE française de 550.000 km2, le CEMM a dit en avoir pris bonne note. « C’est un nouveau champ d’action pour la marine, à qui je ne doute pas qu’on fournira les moyens pour qu’elle y accomplisse au mieux ses missions… », a-t-il lancé aux députés.

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