Le commandant Robert Détroyat, figure des Forces navales françaises libres
Il y a quelques jours, l’aviso de type A69 « Détroyat », pris en remorque Multratug 29, a quitté le cimetière des navires de Landévennec, près de Brest, pour rejoindre le port de Gand où il sera « déconstruit ». C’est une page de l’histoire de la Marine nationale qui a été ainsi définitivement tournée.
Ce navire, lancé en 1974, portait le nom du capitaine de corvette Robert Détroyat, une des figures des Forces navales françaises libres (FNFL).
Né en 1911, fils de général, ce dernier fut admis à l’École navale à l’âge de 18 ans, après un parcours scolaire sans faute. À l’issue de son stage d’application sur le croiseur Jeanne d’Arc, le jeune officier est affecté aux Forces navales du Levant, précisément à Beyrouth. Deux ans plus tard, à sa demande, il est muté à Lorient pour suivre le cours des fusiliers marins.
Après avoir été nommé officier fusilier à bord du croiseur lourd « Algérie », puis à bord du contre-torpilleur Chevalier Paul, Robert Détroyat part pour l’Extrême-Orient avec du croiseur Primauguet. En 1939, il est promu lieutenant de vaisseau.
La même année, la France et le Royaume-Uni déclarent la guerre à l’Allemagne suite à l’invasion de la Pologne. De retour en Europe, le Primauguet enchaîne alors les missions en Atlantique. En février 1940, là encore à sa demande, Robert Détroyat prend le commandement du Chasseur 5, basé à Cherbourg.
Engagé sur les canaux néerlandais en mai 1940, ce dernier, ainsi que son commandant, seront cités à l’ordre des forces de mer pour avoir « vaillamment pris part aux opérations en mer du Nord » et avoir « sous un violent bombardement exécuté par 34 avions ennemis » sauvé l’équipage du torpilleur « Orage », alors en feu. Le 31 mai, le Chasseur 5 est à son tour gravement endommagé : il est contraint de rejoindre son port-base tant bien que mal.
Le 17 juin, le maréchal Philippe Pétain annonce son intention de demander l’armistice et de cesser le combat alors que dans le même temps, le Chasseur 5 se trouve à Portsmouth. Là, Robert Détroyat décide de rester en Angleterre et répond ainsi à l’appel du général de Gaulle alors que son équipage, dans sa quasi-totalité, préfére rentrer en France.
En juillet, l’amiral Muselier confie à l’officier le soin de former une unité de fusiliers-marins. Promu capitaine de corvette, Robert Détroyat prend ainsi le commandement du 1er Bataillon de fusiliers marins (BFM), avec lequel il assistera à l’échec des Français libres et des Britanniques devant Dakar.
Finalement, ce sera au Gabon que les Forces françaises libres prendront pied et obtiendront la reddition des éléments vichystes. Le 1er BFM y assurera le soutien du débarquement des troupes à Libreville. Pendant un temps, Robert Détroyat va assurer le commandement de la Marine à Pointe Noire, ce qui lui vaudra de passer son temps à effectuer des tâches administratives jusqu’en janvier 1941.
Par la suite, les fusiliers marins sont envoyés à Qastina (bande de Gaza) où se regroupent les troupes de la future 1ere Division Française Libre. L’enjeu est alors d’obtenir le ralliement des forces françaises vichystes établies en Syrie, avec le mot d’ordre de ne tirer qu’en riposte.
Seulement, cela n’empêchera pas les combats fratricides, le commandement fidèle au maréchal Pétain ayant donné l’ordre à ses troupes de résister. Et d’estimer que « cette attaque est menée, comme à Dakar, par des Français placés sous le drapeau de la dissidence. Soutenus par les forces impériales britanniques, ils n’hésitent pas à verser le sang de leurs frères qui défendent l’unité de l’Empire et de la souveraineté française ». Souveraineté française… Ou de ce qu’il en reste!
Le 20 juin, les fusiliers marins s’emparent de Mezze, près de Damas, à l’issue de combats qui se déroulent alors dans la plus grande confusion. Le lendemain, le commandant Détroyat tombe nez à nez avec un détachement vichyste emmené par un capitaine. Il tente alors de négocier. « Nous sommes Français libres et luttons contre l’Allemagne, venez avec nous, c’est votre intérêt et votre devoir », dit-il à ce dernier, à qui il avait laissé son arme pour ne pas « l’humilier » (*).
Malheureusement, dans des circonstances troubles, une rafale de mitraillette part… Et le commandant Détroyat est mortellement touché. Un mois plus tard, après des combats souvent violents, le général Joseph de Verdilhac cesse toute résistance et signe un armistice à Saint-Jean d’Acre avec le général Henry Maitland Wilson et général Georges Catroux de la France Libre
Plus tard, le commandant Détroyat sera fait Compagnon de la Libération et donnera son nom à deux navires : à une corvette, en septembre 1941, puis à cet aviso de type A69 qui sera déconstruit en Belgique.
Ce dernier a notamment été affecté à la flottille de l’Atlantique, avant de naviguer dans les eaux de l’océan Indien et de la Méditerranée, après avoir subi un grand carénage au début des années 1990. Il sera désarmé 7 ans plus tard, après avoir parcouru 500.000 nautiques. L’une de ses particularités est d’avoir accueilli, à son bord, la cérémonie de dispersion des cendres en mer d’Iroise d’un autre fusilier marin illustre : Jean Gabin.
L’acteur, déjà très populaire avant guerre, s’était en effet engagé dans les Forces navales françaises libres en 1943, d’abord en tant que canonnier chef de pièce à bord de l’Elorn, puis en qualité de fusilier marin au 2e escadron du régiment blindé de fusiliers-marins, au sein duquel il participera à la libération de la poche de Royan et à la campagne d’Allemagne. À 41 ans, il fut le « plus vieux chef de char de la France Libre » et restera toujours très attaché à la Marine nationale.
(*) Rapporté par le lieutenant de vaisseau Éric Brothé