Le renseignement estime que le « phénomène de jihad à la française est désormais durablement ancré dans une partie de la jeunesse »

Quand on élabore des théories en refusant de prendre en compte les faits, c’est comme construire un château de sable. Et pourtant, après les attentats des 7 et 9 janvier à Paris, on a pu lire ou entendre des analyses qui n’ont fait que peu de cas de certaines réalités tout en faisant la part belle à une arrière-pensée politique.

Lors d’une audition portant sur le prochain projet de loi sur les écoutes téléphoniques et l’interception des communications, le coordonnateur national du renseignement (CNR), Alain Zabulon, a fait part de son pessimisme au sujet de l’évolution du phénomène de « jihad à la française » tout en rappelant certains faits incontestables.

Selon les chiffres qu’il a donnés au députés, les filières syro-irakiennes concernent 1.432 individus (+158% en un an), dont 413 détectés comme étant présents en Syrie, 295 en transit, c’est à dire sur le point de rejoindre l’EI ou le Front al-Nosra, et 261 ayant quitté les zones de combat, parmi lesquels 201 sont revenus en France. Selon M. Zabulon, 85 sont présumés morts et 376 auraient l’intention de partir.

« S’y ajoutent des individus radicalisés qui ne sont pas impliqués dans les filières mais présentent un profil suffisamment inquiétant pour représenter une menace, au nombre de 430. Le service de renseignement territorial suit les individus réputés les moins dangereux, ceux dont on pense qu’ils sont davantage dans le verbe que dans l’action, au nombre d’environ 180. Si l’on y ajoute un millier de profils préoccupants d’individus détectés comme fréquentant assidûment les sites internet les plus radicaux, les sites terroristes, cela fait environ 3 000 personnes », a détaillé le CNR.

Ce niveau est inédit de par sa nature et son intensité. Comme l’a rappelé M. Zabulon, l’Afghanistan n’a pas attiré autant de jihadistes français (une vingtaine selon lui). De même que le Mali. Selon lui, « lorsque l’opération Serval s’est déclenchée (…), les velléités de départ ont été vite contrariées, l’armée française ayant obtenu des résultats très rapides sur le terrain, et il ne s’est pas créé de filière malienne ».

En outre, il n’y a pas de filières vers Boko Haram, le groupe jihadiste nigérian qui a récemment fait allégeance à l’EI après s’être fait connaître par ses atrocités. Du moins à la connaissance de M. Zabulon. « La déclaration d’allégeance de ce mouvement à Daech, ne nous fait pas craindre, à court terme, compte tenu des distances entre les théâtres d’opérations et des capacités d’organisation logistique de ces groupes, un phénomène de coagulation qui verrait se créer une immense armée terroriste », a-t-il estimé.

Donc, et pour le moment, « le phénomène des combattants étrangers se limite à la Syrie. Nous ne voyons pas de filière se créer vers Boko Haram, et je ne crois pas vraiment à une telle éventualité », a expliqué le CNR, qui n’a cependant pas évoqué le cas de la Libye, où les groupes jihadistes sont de plus en plus influents.

Quant au « jihad à la française », ce dernier n’est « pas optimiste pour l’avenir » et pense qu’il est « désormais durablement ancré dans une partie de notre jeunesse ». Les jeunes gens recrutés par les filières terroristes « voient dans le jihad un exutoire à leurs frustrations », a-t-il expliqué. « Ces jeunes gens se marginalisent en basculant dans la radicalité. Ils y trouvent un nouveau sens à leur vie », a-t-il ajouté, précisant que cela ne concerne qu’une « fraction très minoritaire » de la jeunesse française.

Or, ce phénomène ne concerne bien évidemment pas que la France. « La Belgique est au moins aussi touchée et des pays comme le Canada ou l’Australie sont également concernés », a relevé M. Zabulon. Aussi, a-t-il continué, « cela relativise les explications franco-françaises qui consistent à dire que tout cela serait le résultat de l’échec de nos politiques d’intégration, politiques de logement, politiques de la ville ».

« Que ces politiques aient été insuffisantes pour réaliser l’intégration, c’est vrai, mais cette explication n’est pas suffisante », a-t-il estimé. « Le phénomène du jihad est aujourd’hui mondial. Dans les troupes de Daech, les contingents les plus importants sont ceux des pays du Maghreb, comme la Tunisie. Si quelque 400 Français sont sur place, les Tunisiens sont plus de 3 000 », a encore rappelé le CNR.

Quant à la menace terroriste, M. Zabulon a estimé qu' »al-Qaïda dans la péninsule arabique est le mouvement terroriste le plus à même de projeter un attentat en Europe »… D’où l’intérêt de suivre de très près ce qu’il se passe au Yémen. Et de souligner que la France est le « premier pays visé » étant donné que « cela figure dans les déclarations de tous les leaders du terrorisme international ».

Pourquoi? Parce qu’elle « est engagée militairement dans le combat contre le terrorisme » notamment au Sahel et qu’elle « participe aux frappes en Irak pour contrer les menées territoriales de Daech ». En outre, « en matière de politique intérieure, notre concept de la laïcité, notre loi sur le voile, les débats sociétaux sur la place de l’islam, sont perçus ou interprétés par ces mouvements comme des agressions contre le monde musulman », a-t-il détaillé.

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