Désaccord entre la France et les États-Unis au sujet de la Syrie?

Les propos tenus le 15 mars par le chef de la diplomatie américaine, John Kerry, ont surpris. Lors d’un entretien accordé à CBS, il a suggéré qu’il faudrait, « au final », négocier avec Bachar el-Assad, le président syrien, afin de trouver une issue politique à la guerre civile qui ensanglante la Syrie depuis maintenant 4 ans.

« Nous avons toujours été pour les négociations dans le cadre du processus (de paix) de Genève I », a-t-il dit. Or, ces discussions, qui n’ont jamais abouti, ont concerné des représentants du gouvernement syrien et des représentants de l’opposion au régime de Damas. En clair, cela reviendrait à remettre Bachar el-Assad en centre du jeu afin de lutter contre l’État islamique (EI ou Daesh).

Et la presse syrienne a tout de suite repris la balle au bond. « C’est une nouvelle reconnaissance de la légitimité du président Assad, de son rôle clé, de sa popularité », a écrit le quotidien privé Al-Watan, proche du pouvoir.

Seulement, le président syrien est justement soupçonné d’avoir délibérément favorisé l’essor de l’EI pour apparaître comme le rempart contre ce dernier. Ainsi, en 2011, il aurait fait libérer des jihadistes alors détenus à la prison de Saidnaya avec l’idée de discréditer l’opposition syrienne. Ces anciens prisonniers, du moins pour la plupart, sont maintenant des cadres de Daesh, du Front al-Nosra, affilié à al-Qaïda ou encore de groupes armés réclamant l’application de la charia.

En outre, certains soulignent que les forces syriennes mettent peu d’empressement à combattre l’EI et auraient même abandonné la ville de Raqqa à son sort (ainsi que la base militaire de Tabqa) parce qu’elle ne fait pas partie du « pays utile » que cherche à défendre le régime syrien.

Cette estimation est partagée par les autorités françaises, lesquelles n’ont pas manqué de réagir aux propos de M. Kerry. « La solution au conflit syrien, c’est une transition politique qui doit préserver les institutions du régime, pas M. Bachar al-Assad », a ainsi affirmé, le 16 mars, Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères.

« Toute autre solution qui remettrait en selle M. Bachar al-Assad serait un cadeau absolument scandaleux, gigantesque aux terroristes de Daesh », a fait valoir le chef de la diplomatie française. « Les millions de Syriens qui ont été persécutés par M. al-Assad se reporteraient pour soutenir Daesh. C’est évidemment ce qu’il faut éviter », a-t-il ajouté.

Comme il l’avait déjà expliqué lors d’une audition au Sénat, M. Fabius a répété que la solution au conflit syrien passe par une transition politique qui doit intégrer l’opposition modérée tout en préservant les institutions syriennes. C’est ainsi que la France « dialogue » avec des « éléments du régime » pour « éviter l’écroulement qui a eu lieu en Irak par le passé ».

Cependant, la diplomatie américaine n’a pas tardé à rectifier le tir peu après la diffusion des propos de John Kerry. Ainsi, Marie Harf, une porte-parole du département d’État, a immédiatement précisé, via Twitter qu’il avait « réitéré la ligne » suivie par les États-Unis « depuis longtemps ». Et d’ajouter : « Nous avons besoin d’un processus de négociations avec la participation du régime » et qu’il n’était pas question de  » négociations directes avec Assad ».

Le lendemain, Jennifer Psaki, une autre porte-parole du département d’État, est allée dans le même sens. « Comme nous le disons depuis longtemps, il faut que des représentants du régime d’Assad fassent partie du processus » de paix, a-t-il déclaré, avant de déplorer l’absence de négociations visant « à mettre fin à la souffrance du peuple syrien ». Mais « ce ne sera pas et ce ne sera jamais Assad lui-même – et ce n’est pas ce que M. Kerry voulait dire », a-t-elle poursuivi.

Visiblement, John Kerry a dû s’employer à préciser sa pensée auprès de son homologue français. Selon M. Fabius, qu’il a eu au téléphone, le secrétaire d’État a assuré « qu’il n’y avait absolument rien de nouveau dans la position américaine sur la Syrie. »

« Dont acte », a dit le chef du Quai d’Orsay. « Mais de toutes les manières, la France est un pays indépendant et notre politique extérieure par rapport au drame épouvantable qui se passe en Syrie n’a pas changé », a-t-il affirmé.

Cela étant, le directeur de la CIA, John Brennan, a expliqué, le 13 mars, devant le centre de réflexion Council on Foreign Relations, qu’il n’état pas question d’un  » effondrement du gouvernement et des institutions en Syrie » afin de ne pas laisser le « champ libre aux extrémistes islamistes ».

« Des éléments extrémistes, dont l’EI et d’anciens militants d’Al-Qaida, sont en phase ascendante dans certaines régions de Syrie », a dit M. Brennan. « La dernière chose que nous voulons, c’est de leur permettre de marcher sur Damas. C’est pourquoi il est important de soutenir les forces de l’opposition syrienne qui ne sont pas extrémistes », a-t-il ajouté. « La communauté internationale est favorable à une solution reposant sur un gouvernement représentatif qui essaiera de répondre aux revendications à travers le pays », a-t-il encore souligné.

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]