Quelles règles pour les futures associations professionnelles de militaires?

Afin de se mettre en conformité avec l’article 11 de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), la France va autoriser ses militaires à adhérer à des associations professionnelles. Quand le président Hollande a annoncé un projet de loi allant dans ce sens, en décembre, certains y ont vu l’arrivée prochaine de syndicats au sein des armées. C’était aller vite en besogne (comme souvent d’ailleurs) puisqu’il n’en est évidemment pas question.

Lors de son audition devant la commission de la Défense [.pdf], à l’Assemblée nationale, le président de la section de l’administration du Conseil d’État, Bertrand Pêcheur, par ailleurs auteur d’un rapport [.pdf] sur le droit d’association professionnelle des militaires, a donné quelques explications sur les mesures qu’il préconise (mesures qui font partie d’un avant-projet de loi contenu dans le document).

Premier point, ces associations professionnelles seraient ainsi exclusivement dédiées à la condition militaire qui couvre notamment « les aspects statutaires, économiques, sociaux et culturels susceptibles d’avoir une influence sur l’attractivité de la profession et des parcours professionnels, le moral et les conditions de vie des militaires et de leurs ayants droit ».

Second point, ces associations, régies en partie par la Loi 1901 et dont il est exclu d’en faire des syndicats (ces derniers relèvent de la loi de 1884), ne seront ouvertes qu’aux militaires en activité et aux réservistes, par conséquent soumis à un statut qui leur est propre.

En clair, les retraités des forces armées, sauf s’ils font partie de la réserve opérationnelle, ne pourront pas y adhérer et l’ADEFDROMIL, par exemple, ne pourra pas être une association professionelle.

Tout simplement, explique M. Pêcheur, parce qu’ils ont déjà le droit d’association et que « l’institution militaire n’a aucune prise sur eux » allors qu’il semble « qu’elle doit conserver dans ce cadre un levier, y compris celui des sanctions à l’égard de militaires qui méconnaîtraient les obligations et les règles ».

En outre, et c’est le troisième point, les associations professionnelles de militaires devraient être déclarée à la préfecture (comme la loi de 1901 le stipule) mais aussi à l’autorité militaire. Il leur serait possible, selon M. Pêcheur, « d’ester en justice » (c’est à dire d’exercer une action devant les tribunaux) mais « dans un périmètre » qu’il reste encore à définir. En outre, elles devront être indépendantes par rapport « aux partis politiques, aux confessions, au commandement, aux intérêts économiques, à des États étrangers » et leur siège social devra obligatoirement être installé en France [ndlr, la loi de 1901 ne fixe aucune obligation de ce genre à une association classique].

Quatrième point, étant attendu que ces associations professionnelles pourraient avoir des représentants au sein des « instances et conseils d’administration d’établissements qui traitent des questions relatives à la condition militaire, notamment la Caisse nationale militaire de sécurité sociale, l’Établissement public d’insertion de la défense, les fonds de prévoyance », elles devront être, selon M. Pêcheur, « représentatives », c’est à dire qu’il sera tenu compte « de la diversité des grades et des fonctions représentés et des effectifs d’adhérents ».

Il s’agit que ces associations aient une « assise suffisante » et qu’il ne « se constitue pas des associations nationales représentant qui l’artillerie, qui la cavalerie », a précisé M. Pêcheur. « En d’autres termes, elles doivent avoir pour périmètre au moins l’armée de terre, l’armée de l’air, la marine ou la gendarmerie, à quoi il faut ajouter la DGA (direction générale de l’armement), le service de santé des armées ou encore le service des essences, qui forment des blocs d’inégale importance mais de culture spécifique », a-t-il ajouté.

Pour M. Pêcheur, c’est aussi une question de « cohésion des forces ». « Si, demain, on laisse s’installer des associations de militaires du rang, de sous-officiers ou d’officiers (…), c’en est fini de l’armée française. Le caractère intergrades des associations est fondamental. Sans lui, on bascule dans le corporatisme et dans la guerre de tous contre tous », a-t-il insisté en réponse à une question posée par un député.

Cela étant, l’évaluation de cette « représentativité » ne devrait pas se faire selon des quotas. D’où la remarque pertinente du député Philippe Vitel : « On pourrait donc avoir cinquante généraux, deux sous-officiers et deux hommes du rang »… Pour M. Pêcheur, cela ne risquerait pas d’arriver car « autorité administrative, en l’occurrence le ministre de la Défense, ne se laissera pas prendre au piège »…

Enfin, le cinquième et dernier point, et sans doute le plus important, concerne le financement de ces associations professionnelles. Autre signe que ces dernières ne seront pas des syndicats, elles ne seront pas subventionnées (un rapport parlementaire avait établi que les organisations syndicales recevaient 4 milliards d’euros de subventions par an pour 8% de syndiqués).

Maître des requêtes au Conseil d’État, Alexandre Lallet en a donné les raisons. « Compte tenu des contraintes budgétaires très fortes qui pèsent sur notre pays et sur nos armées en particulier, il est proposé (…) de n’offrir aux associations que des facilités minimales », c’est à dire celles que « l’on retrouve dans l’action syndicale de la fonction publique comme de l’entreprise ». Et d’ajouter : « Pour le reste, les associations professionnelles nationales de militaires vivraient de leurs cotisations. Elles pourraient, le cas échéant, recruter des salariés permanents. Tout dépendra de leur audience auprès des militaires ».

« Nous n’envisageons aucun mécanisme de subventionnement public. Tout au plus suggérons-nous que les cotisations aux associations représentatives puissent donner lieu au même crédit d’impôt que celui dont bénéficient les salariés lorsqu’ils adhèrent à des syndicats représentatifs », a encore insisté M. Lallet.

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