La question du service national revient dans le débat public
« L’appel sous les drapeaux est suspendu pour tous les Français qui sont nés après le 31 décembre 1978 et ceux qui sont rattachés aux mêmes classes de recensement. Il est rétabli à tout moment par la loi dès lors que les conditions de la défense de la Nation l’exigent ou que les objectifs assignés aux armées le nécessitent », indique l’article L. 112-2 du Code du service national.
Soyons clairs, pour le moment en tout cas, les deux conditions pour que la conscription soit rétablie ne sont pas réunies. Même après les récents attentats qui ont endeuillé la France. En outre, remettre le service national au goût du jour ne pourrait pas se faire du jour au lendemain : il faudrait recréer les centres de sélection, rouvrir des casernes et des bases que le ministère de la Défense a déjà revendues (parfois pour l’euro symbolique), etc. Près de 20 ans après la décision du président Chirac de professionnaliser les armées, revenir en arrière serait donc très compliqué… et coûteux.
Pourtant, l’idée de rétablir la conscription fait surface quand sont mis en avant les problèmes de l’intégration. Le service militaire est un « creuset républicain », lancent ceux qui sont favorables à son retour. Ce qui n’est pas faux dans l’absolu… Mais ce serait oublier que, au moment de sa suspension, 30% d’une classe d’âge de jeunes français y échappaient par exemption, dispence ou inaptitude.
Un an avant l’annonce de la fin du service militaire, François Léotard, alors ministre de la Défense du gouvernement Balladur, avait eu des mots que l’on pourrait penser prémonitoires : « Je crois que, dans un pays actuellement troublé dans son identité, doutant d’une certaine manière de son Histoire, de sa cohésion et de sa pérennité, supprimer ce qui, après l’école, reste un fondement d’intégration sociale et nationale, serait commettre une imprudence. L’armée de conscription c’est aussi un outil civique », avait-il affirmé lors d’un entretien accordé en avril 1994 au Quotidien de Paris. Et, pour lui, le service militaire était un « impôt sur le temps ».
Ces préoccupations sont donc encore d’actualité. Récemment, l’ancien secrétaire aux Anciens combattants, Kader Arif, avait dit regretter la suspension de la conscription. « Je crois, au regard de ma propre histoire que le service militaire obligatoire était un formidable creuset républicain qui permettait à des jeunes gens, plus de 260.000 par an, venant d’origines sociales, de régions et de confessions différentes de pouvoir se retrouver et de se dire : ‘Nous sommes citoyens français’ », avait-il dit, en mai 2014. Deux ans plus tôt, Lionel Jospin, ancien Premier ministre qui mit en oeuvre le processus de professionnalisation, avait trouvé « dommage » que l’armée française ne soit plus une « armée de citoyen ».
Mais après les attentats qui viennent endeuiller la France, la question d’un rétablissement de la conscription est revenue dans le débat. Ainsi, le député Xavier Bertrand, a renouvelé sa proposition faite en novembre dernier visant à instaurer un service national d’une durée de 3 mois, encadré par d’anciens militaires ou des réservistes.
« Ce n’est pas un nouveau service militaire. Il ne s’agit pas de revenir sur l’armée de métier, qui est nécessaire. Mais je souhaite une période d’au moins trois mois, obligatoire pour les filles et les garçons, qui puisse redonner un sentiment d’appartenance et permettre d’abolir les appartenances politiques, religieuses et sociales des jeunes ou de leurs parents. Avec, en outre, cette idée que chacun doit quelque chose à son pays », a ainsi expliqué le député-maire de Saint-Quentin dans les colonnes du Parisien, ce 19 janvier. Selon lui, cette mesure, qui concernerait 600.000 jeunes par an, coûterait 1,5 milliard d’euros.
Toujours à l’UMP, François Baroin, désormais sénateur, a également évoque un « service national adapté les hommes et pour les femmes, pendant quelques mois, qui permettrait de relancer une politique de programmation ». Ce service obligatoire durerait 8 mois et coûterait 4 milliards d’euros.
Dans une tribune publiée par FigaroVox, Franck Allisio, secrétaire national de l’UMP chargé de la réforme des institutions, a vivement plaidé pour le retour du service militaire.
« Il manque aujourd’hui un creuset national et républicain, un rite de passage où le citoyen prend autant conscience de ses devoirs que de ses droits et affirme clairement son appartenance à la nation française. Cet acte fort ne peut être que la mise en place d’un nouveau service national obligatoire à travers lequel chaque française et chaque français entre 18 et 21 ans devra consacrer trois mois à son pays sous peine de perdre ses droits civiques et sociaux », a-t-il fait valoir, avant d’estimer que les circonstances « exigent » le retour de la conscription.
« Arrêtons de faire semblant avec l’actuelle ‘Journée Défense et Citoyenneté’, le service civil et le volontariat, osons redonner à notre armée les moyens de transmettre l’amour de la patrie, les notions d’autorité, de discipline et d’effort. Chaque jeune remis dans le ‘droit chemin’, stoppé dans sa dérive parce que sorti pour la première fois de son quartier sera alors une victoire pour la République », a encore ajouté M. Allisio, pour qui le coût financier d’une telle mesure serait « bien inférieur à celui des innombrables politiques d’intégration ou d’emploi des jeunes qui échouent depuis des années, et insignifiant face au coût du communautarisme, de l’individualisme forcené et de la désintégration sociale ».
Mais cette question de rétablir une nouvelle forme de conscription date en fait de bien avant les récentes attentats. Un autre parlementaire UMP, Yves Foulon, a en effet déposé, avec plusieurs de ses collègues, une proposition de loi visant « à créer un ‘service citoyen’ qui durerait 3 mois fractionnables, et pourrait être militaire, humanitaire ou associatif ».
L’idée d’un service civique obligatoire n’est pas le monopole de la droite. À gauche, on s’interroge aussi. « Passer du temps au service de la collectivité dans un apprentissage de la citoyenneté est complémentaire de ce qu’a pu faire l’Éducation nationale, l’éducation populaire et la famille (…). Je plaide depuis très longtemps pour un service civique obligatoire, universel, de six mois, entre 16 et 26 ans, qui puisse être scindé en différentes périodes lorsque l’on fait des études », a ainsi affirmé Bruno Le Roux, le chef de file des députés socialistes.
Et qu’en pensent les Français? De récents sondages ont montré qu’ils restent attachés à au service militaire, ou du moins au « service civique obligatoire ». Et une enquête d’opinions publiée en juillet 2012 indiquait que 62% d’entre eux « regrettaient » la conscription…
Pour autant le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, est plus que réservé à l’idée de revenir au service national obligatoire. « Pas sûr que ça corresponde à la menace d’aujourd’hui », a-t-il affirmé, la semaine passée, à l’antenne d’Europe1. « Nous avons fait le choix d’une armée professionnelle et on voit bien, face aux risques que nous rencontrons, qu’il faut une armée professionnelle », a-t-il ajouté, en se disant toutefois favorable au renforcement du service civique volontaire.