Après la fin du mandat de l’ISAF, l’heure de vérité est arrivée pour l’Afghanistan

Après 13 ans de présence en Afghanistan, la Force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF) a officiellement mis un terme à sa mission de combat, au cours d’une cérémonie organisée le 28 décembre à Kaboul.

Au cours de ce long engagement militaire, 1.000 milliards de dollars ont été dépensés notamment pour reconstruire les forces de sécurité afghane et financer des projets de développement. Et 3.845 militaires occidentaux y perdu la vie. Tout ça pour un bilan en demi-teinte…

« Nous avons élevé les Afghans hors des ténèbres et du désespoir et nous leur avons donné de l’espoir », a affirmé le général américain John Campbell, le dernier commandant de l’ISAF. Et de l’espoir, il en faudra, tant les défis qui restent à relever sont encore nombreux.

Quand l’opération américaine Enduring Freedom a commencé, le 7 octobre 2001, en réponse aux attentats perpétrés contre le World Trade Center et le Pentagone, il s’agissait de défaire les taliban et de faire la chasse aux militants d’al-Qaïda installés en Afghanistan.

Cette première phase a globalement été réussie : le mouvement taleb a été vaincu militairement et de nombreux membres d’al-Qaïda sont neutralisés ou capturés. Seulement, les chefs de ces deux organisations ont réussi à s’échapper. Il faudra attendre le 2 mai 2011 pour que Oussama Ben Laden soit tué à Abbottabad, au Pakistan. Quant aux autres, et notamment le mollah Omar, ils sont encore dans la nature.

L’Otan est entré en scène en décembre 2001, sur la base d’une résolution des Nations unies (ce qui a été trop souvent oublié) et après la conférence de Bonn qui venait de nommer Hamid Karzaï à la tête de l’autorité intérimaire en Afghanistan.

Jusqu’en 2006, les missions se concentrent sur l’aide aux autorités afghanes à étendre leur influence et aux opérations anti-terroristes ciblant les militants d’al-Qaïda. Puis, le mouvement taleb afghan, réorganisé depuis ses bases arrières pakistanaises, fait son retour, d’abord dans le sud du pays. Sous l’influence du mollah Baradar, le numéro deux du mollah Omar, son chef suprême, les tactiques utilisées font alors appel aux engins explosifs improvisés. Et les engagements se durcissent.

Progressivement, on passe alors du contre-terrorisme à la contre-insurrection. Ce qui suppose un changement de stratégie dont le maître mot est de « conquérir les coeurs et les esprits ». Il s’agit de protéger les populations, de se concentrer sur les régions les plus peuplées et de renforcer les forces de sécurité afghanes pour qu’elles puissent assumer seules leurs responsabilités. Pour la mettre en application, des renforts sont alors nécessaires. En décembre 2009, le président Obama décide d’envoyer 30.000 hommes supplémentaires, alors que son vice-président, Joe Biden, défendait l’idée de limiter l’engagement militaire à des opérations de contre-terrorisme.

Seulement, cette stratégie n’a pas pleinement donné les résultats attendus. Pour que la contre-insurrection fonctionne, il faut qu’elle serve un pouvoir civil légitime. Or, avec les affaires de corruption liées au trafic d’opium qui ont miné les autorités afghanes, cette condition n’a pas été remplie. En 2011, le général McChrystal, qui venait d’être mis en retraite après des critiques contre l’administration Obama, l’avait d’ailleurs reconnu en donnant une des raisons.

« Nous n’en savions pas assez et nous n’en savons pas encore assez (…) La plupart d’entre-nous – moi y compris – avions une compréhension très superficielle de la situation et de l’histoire (de l’Afghanistan) et nous avions une vue terriblement simpliste de l’histoire récente », avait-il affirmé lors d’une conférence donnée devant le Council on Foreign Relations.

Pourtant, au moment de la fin de la mission de combat de l’ISAF, l’heure a été au satisfecit. « Grâce à des efforts remarquables, nous avons accompli notre mission. (…) Nous avons rendu l’Afghanistan plus fort », a en effet estimé Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’Otan, lors de la cérémonie du 28 décembre. Sauf que les insurgés taliban sont toujours là… Et que tout n’a pas été réussi, loin de là.

En réalité, cela fait déjà plusieurs mois que les 350.000 membres des forces de sécurité afghanes (armée et police) sont en première ligne face aux insurgés, l’ISAF étant présente en second rideau. En 2014, ils ont du faire face à une hausse de plus de 10% des attaques menées par les rebelles par rapport à 2013. Malgré cela, le gouvernement afghan tient toujours les grands centres urbains et leurs environs. Pour ce qui est des campagnes, c’est autre chose… le terrain gagné dans la journée étant perdu pendant la nuit.

Toute la question est de savoir si l’armée et la police afghanes tiendront dans la durée. Leurs pertes ont atteint un niveau « difficilement supportable » en  2014 (mais c’était aussi le cas l’an passé), avec plus de 4.600 tués au cours des 10 premiers mois de l’année, soit autant que celles subies par l’ISAF depuis 2001.

En outre, l’armée afghane présente encore des déficits capacitaires, notamment dans le domaine de l’appui aérien. Sans ce dernier, jusqu’ici fourni par l’ISAF, les taliban auront plus de latitude pour se regrouper. Et les soldats afghans auront plus de mal à se désengager en cas de violentes prises à partie. À cela, on peut ajouter le manque de logistique,  les difficultés en matière de maintenance des matériels fournis par les Occidentaux, le manque de support médical ou encore les problèmes de planification.

Pour autant, les forces de sécurité afghanes pourront bénéficier, jusqu’en 2017, de l’appui d’une nouvelle mission de l’Otan, appelée Resolute Support. Forte de 12.500 hommes (dont plus de 10.000 soldats américains), son rôle sera de les assister, de les entraîner et de mener des opérations antiterroristes contre ce qui reste d’al-Qaïda.

Si le bilan de l’Otan est plutôt mitigé sur le plan sécuritaire, il est franchement négatif pour ce qui concerne la lutte contre la production d’opium, qui, malgré les déclarations d’intention, les actions ponctuellement menées contre les trafics, ne s’est jamais aussi bien portée, avec une hausse de 17% en 2014 (6.400 tonnes). En 2013, alors qu’il étant ambassadeur de France en Afghanistan avant de prendre la tête de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), Bernard Bajolet avait souligné que la drogue causait « plus de victimes que le terrorisme » en Russie, en Europe et dans les Balkans…

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