Le Sénat a rejeté le budget 2015 de la Défense pour son manque de sincérité
En novembre, l’Assemblée nationale a voté un budget de la Défense d’un montant, pour 2015, de 31,4 milliards d’euros, dont 2,4 milliards de recettes exceptionnelles (REX). Le volume de ces dernières a en effet été augmenté de 100 millions suite à un amendement présenté par le ministère du Budget, lequel a diminué d’autant les crédits de base de la mission « Défense ».
Seulement, ces REX devant être tirées d’une vente aux enchères des bandes de fréquence 700 MHZ qui ne pourra pas se faire dans les délais voulus, il a été avancé l’idée de mettre en place des sociétés de projets qui (r)achèteront des équipements aux armées pour les leur louer par la suite. Une telle initiative ne manque pas de soulever des réserves, si ce n’est des réticences, chez les parlementaires.
Lors de l’examen des crédits de la mission Défense pour 2015 au Sénat, dont la majorité a changé de camp lors des dernières élections, des inquiétudes utes ont été exprimées à droite et au centre au sujet de la sincérité de ce budget.
« Nous avons besoin de clarifications », a affirmé Jean-Pierre Raffarin, l’actuel président de la commission des Affaires étrangères et des Forces armées. si l’ancien Premier ministre n’est pas hostile aux sociétés de projets, il n’en reste pas moins qu’il juge « préoccupant » que « l’ingénierie » de ce dispositif soit piloté par Bercy, qui « n’est guère bienveillant pour les crédits de la Défense ». Et l’on se doute qu’il sait de quoi il parle
« Politiquement, je ne suis pas trop inquiet. Le président de la République s’est engagé par écrit devant le Parlement. Mais comment trouver l’argent? Les trois solutions envisagées n’en sont pas vraiment. Nous sommes inquiets », a encore déclaré M. Raffarin.
« Nous doutons de la détermination de Bercy à appliquer la volonté, confirmée par écrit, du président de la République. Voilà la source de notre inquiétude. Ce budget n’est pas manoeuvrable, il n’est pas comme les autres. Et tous les ministères ne sont pas égaux dans notre affection! », lancera-t-il plus tard, lors de la discussion sur les amendements.
Le rapporteur spécial de la commission des Finances, Dominique de Legge, a été encore plus mordant. « Il n’est pas dans la tradition de notre assemblée de refuser les crédits de la défense. Mais trop de signes alarmants ont étayé nos craintes », a-t-il lancé.
« Premier signal, l’amendement du Gouvernement à l’Assemblée nationale prive l’armée de 100 millions d’euros de crédits. Deuxième signal, le refus du Gouvernement de communiquer les éléments sur la faisabilité des sociétés de projet. Troisième signal, la réponse du président de la République à la lettre du président Gérard Larcher et du président Jean-Pierre Raffarin : le chef de l’État maintient l’hypothèse de la vente des fréquences, des sociétés de projet, et ajoute que si les recettes attendues font défaut, le Gouvernement ouvrira les crédits nécessaires au 1er janvier 2016. C’est contraire à l’esprit et à la lettre de la LPM », a énuméré le sénateur UMP.
Et d’ajouter : « La commission des finances, par respect pour nos armées, dénonce ce mensonge d’État et refuse de cautionner cette insincérité manifeste. Ce vote contre les crédits n’est pas dirigé contre vous, monsieur le ministre, ni contre la communauté militaire. C’est un cri d’alarme ».
Même tonalité pour le sénateur André Trillard, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères et Forces armées. « Le compte n’y est pas. La situation ne nous satisfait pas, a-t-il dit. Nous vivons un moment grave. Nous étions animés de l’espoir que le gouvernement renonce à certaines annulations de crédits. Mais les chiffres restent alarmants. Des recettes artificielles et hypothétiques sont censées financer des dépenses bien réelles ».
« Mais de quel budget parlons-nous? De l’affichage artificiel, théorique, qui respecte facialement la trajectoire de la loi de programmation? De recettes qui ne seront pas, nous le savons désormais, au rendez-vous? Bercy ne pouvait pas ne pas le savoir », a demandé Jacques Gautier, également apporteur pour avis de la commission des affaires étrangères et des Forces armées. « Or le gouvernement a encore imposé, à l’Assemblée nationale, 100 millions d’amputations de crédits… compensés par 100 millions de ressources exceptionnelles qui n’existent pas », a-t-il poursuivi.
Membre du groupe communiste républicain et citoyen, Mme le sénateur Michèle Demessine a également souligné le manque de visibilité sur les crédits de la Défense. « Si la loi de programmation militaire n’est pas respectée, nos capacités militaires et notre industrie de défense seront en danger. Or votre budget est fragile, d’une sincérité douteuse, puisqu’il repose sur des prévisions bien optimistes de REX », a-t-elle fait valoir, après avoir expliqué que sa formation ne peut « souscrire aux orientations stratégiques du gouvernement », notamment en matière de dissuasion nucléaire.
Cette dernière a par ailleurs motivé « l’abstention constructive » du groupe écologiste pour qui « notre présence maritime doit être une priorité pour lutter contre la pêche illicite et la piraterie » étant donné que « la question environnementale a pris une dimension stratégique essentielle ».
Au final, par 195 voix contre (et 20 abstentions), les sénateurs ont rejeté le projet de budget 2015 du ministère de la Défense. Que va-t-il se passer après?
« En cas de désaccord entre l’Assemblée et le Sénat lors de l’examen d’un texte, la procédure de la commission mixte paritaire (CMP) est utilisée. Après une lecture (procédure accélérée) ou deux dans chaque assemblée, le Premier ministre (…) peut demander la convocation de la CMP, composée de 7 députés et 7 sénateurs. La CMP essaie d’aboutir à un texte commun. Faute d’accord, une nouvelle lecture est organisée dans chaque assemblée, puis le Gouvernement peut donner le dernier mot à l’Assemblée. Elle peut, dans ce cas, reprendre soit le texte voté en CMP, soit le dernier texte voté par elle », explique le portail « vie-publique.fr« .