Budget/Défense : Des sociétés de projet qui sont loin de faire l’unanimité… Et des sénateurs qui s’interrogent

L’année 2015 sera cruciale pour la bonne exécution de la Loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019, dans la mesure où plusieurs programmes d’armement majeurs et structurants devront être lancés et confirmés. Le problème est que le budget de la Défense s’appuie sur 2,3 milliards de recettes exceptionnelles (ou REX) pour rester au niveau de 31,4 milliards d’euros, soit le même montant qui était le sien en 2012.

Or, ces REX devaient provenir de la vente aux enchères de de fréquences des 700 MHz, actuellement utilisée par la télévision numérique terrestre (TNT).pour 2,1 milliards. Seulement, c’était prendre un pari très risqué étant donné que le calendrier sera quasiment impossible à tenir, qui plus est avec un secteur de télécommunications en pleine recomposition, avec des opérateurs légèrement endettés qui font la course au « low cost » (bas coûts).

En effet, dans un premier temps, il faut consulter la commission parlementaire de modernisation de la diffusion audiovisuelle (CMDA), puis ensuite l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) aura à lancer une consultation publique auprès des opérateurs de téléphonie afin de mettre au point le cahier des charges. Ce qui fait qu’un appel d’offres pourrait être lancé, au mieux, qu’à l’été 2015. Mais ce n’est pas tout : il y aura aussi à tenir compte des résultats de la conférence mondiale des radiocommunications, prévue en novembre 2015, pour que l’attribution des fréquences soit définitive. En clair, rien n’est gravé dans le marbre.

D’où la recherche de scénarios alternatifs pour éviter un possible défaut de paiement du ministère de la Défense… Et là, ça se complique sérieusement! Redéployer des crédits du Programme des investissements d’avenir (PIA) comme en 2014? Impossible, sauf à changer le statut de la Direction générale de l’armement (DGA) pour la rendre éligible à ces crédits.

« De nombreux engagements de la DGA auraient pu entrer dans une nouvelle enveloppe du PIA. Mais il semblerait que la volonté de ne pas créer de précédent au profit du ministère de la Défense l’ait emporté. Le PIA n’a donc pas été reconduit en 2015 au bénéfice de la mission ‘Défense' », relève le député Jean-Jacques Bridey dans son avis « Équipements des forces – Dissuasion », rendu dans le cadre des débats sur le projet de loi de finances 2015.

Une autre possibilité serait de faire jouer la clause de sauvegarde de la LPM, qui prévoit une compensation intégrale des REX qui ne seraient pas au rendez-vous, soit par d’autres ressources exceptionnelles, soit par un financement interministériel. Mais là-encore, « le contexte du plan d’économies de 50 milliards d’euros, le recours à la solidarité budgétaire interministérielle semble toutefois improbable », estime M. Bridey.

L’on pourrait imaginer des cessions de parts que l’État détient au capital d’entreprises afin de trouver ces 2,3 milliard. Seulement, la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) l’interdit, le compte d’affectation spéciale « Participations financières de l’État » (CAS PFE) ne devant être sollicité que pour les opérations de désendettement de l’État ou d’établissements publics.

D’où l’idée émise par le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, de créer une « société de projets » (ou SPV). « Il n’y a pas d’autres solutions pour rassembler les ressources exceptionnelles nécessaires en 2015 », a-t-il dit, dans les colonnes de Challenges.

Le principe est de créer une société (voire plusieurs) avec des capitaux fournis par vente de participations de l’État, voire par des investisseurs étrangers, dont l’activité consisterait à racheter du matériel aux armées pour ensuite les leur louer. Mais cette initiative suscite de nombreuses réserves et pose de nombreuses questions dont la réponse devra être législative. En clair, elle demandera du temps pour qu’elle soit effective.

Or, comme l’a souligné Laurent Collet-Billon, le délégué général à l’armement (DGA), lors de son audition devant la commission des Affaires étrangères et des Forces armées du Sénat, « il faut que ces SPV soient en état de fonctionnement pour le mois de juin, si l’on veut pouvoir bénéficier des recettes exceptionnelles au mois de septembre ».

Or, il faudra modifier certaines règles de droit pour pouvoir créer ces sociétés de projet. En effet, l’État ne peut pas céder du matériel dont il a encore l’usage, comme, par exemple, les avions A400M. Comment, dans ces conditions, les revendre à une SPV? « Il faut donc prendre une disposition législative qui autorise l’Etat à vendre des matériels en service dans les forces armées – pour que celles-ci les récupèrent dans les secondes qui suivent. Sans cela, on n’atteindra jamais les montants prévus », a expliqué le DGA.

Une autre question, parmi d’autres, porte la nature du capital de la (ou les) SPV. S’il y a des capitaux privés, « pourra-t-il y avoir compétition pour la revente des matériels avant qu’on ne nous les loue? », s’est demandé M. Collet-Billon.

Quoi qu’il en soit, ces sociétés de projet ne font pas l’unanimité. Le ministre des Finances, Michel Sapin, y est opposé. Quant aux militaires, l’on sent quelques réserves. Selon un rapport conjoint de la DGA, du Contrôle général des armées et de l’inspection des Finances, évoqué par Challenges, cette initiative serait à la fois aléatoire, complexe… et coûteuse. Le document assurait, affirme l’hebdomadaire, que « le montage serait comptabilisé en dette publique, mais aussi que les frais de gestion et d’assurance risqueraient de déraper ».

En attendant, l’horloge tourne. Et même si le principe de créer des sociétés de projet (il en faudrait peut être une par types d’équipement, selon le DGA), « cela prend beaucoup de temps à mettre en place (…) C’est assez peu crédible pour 2015 », a estimé Jean-Pierre Raffarin, l’ancien Premier ministre qui préside désormais la commission des Affaires étrangères et des Forces armées du Sénat.

Et c’est en cette qualité qu’il a envoyé une lettre au président Hollande, le 20 novembre, pour lui faire part des « graves interrogations » des sénateurs au sujet du budget 2015 du ministère de la Défense. On apprend au passage que le président du Sénat, Gérard Larcher, a pris la même initiative le 11 novembre…

« Les 31,4 milliards d’euros nécessaires à l’exécution de la Loi de programmation militaire ne sont financés, dans ce projet 2015, que grâce au concours de recettes exceptionnelles qui nous paraissent hautement improbable dans ce calendrier », écrit le sénateur de la Vienne. « Aussi, a-t-il ajouté,  nous vous prions de bien vouloir, avant le vote de ce budget nous préciser quelles instructions vous donnerezau ministre du Budget pour que votre engagement solennel quant à l’exécution complète de la Loi de programmation militaire puisse être tenu avec certitude ».

« Le président de la République est dans une situation où il ne peut plus tout à fait dire ‘je tiendrais les 31,4 milliards » sans nous dire comment », a commenté M. Raffarin auprès de l’AFP.

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