BPC/Russie : Tour d’horizon des positions des responsables politiques français

L’affaire des deux Bâtiments de projection et de commandement (BPC) commandés à la France par la Russie pour 1,2 milliard de dollars suscite des réactions passionnées, à défaut d’être passionnantes. Et elle divise la classe politique française, parfois pour des raisons différentes.

Pour rappel, compte tenu du rôle prêté à la Russie dans la déstabilisation de l’est de l’Ukraine en soutenant des séparatistes pro-russes, les autorités françaises hésitent à livrer le premier de ces deux bâtiments, le Vladivostok, actuellement à quai à Saint-Nazaire dans la mesure où les conditions pour le remettre à la marine russe ne sont pas encore réunies.

« Si l’intervention russe en Ukraine continuait à traduire une politique qui menace notre sécurité, chacun comprendrait que nous ne livrions pas d’armes pour nous battre un jour avec. Nos interlocuteurs l’ont bien compris. Il convient en outre de prendre en considération les inquiétudes de nos partenaires au sein de l’Union européenne situés à l’est. Ce que nous avons fait par exemple en Pologne, en y déployant des Rafale », avait expliqué Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense, lors d’une audition en commission à l’Assemblée, le 1er octobre.

Au lendemain de la décision du président Hollande de suspendre, avant la tenue du sommet de l’Otan, à Newport, le contrat des BPC Mistral, le Parti socialiste avait dit « ne pas souhaiter l’annulation du contrat mais plutôt la réunion des conditions pour qu’il aille à son terme. Pour cela, un cessez-le-feu immédiat est nécessaire, ainsi qu’une résolution durable, respectueuse des principes fondant la sécurité collective de l’Europe ». Mais, à gauche, cet avis n’est pas partagé, loin de là.

Si Europe-Écologie/Les Verts (EELV) a salué cette décision (par principe, ce parti n’est pas favorable aux ventes d’armes), ce n’est pas le cas de la gauche du PS (avec qui les écologistes semblent vouloir se rapprocher pour les prochaines échéances électorales, après l’affaire « Rémi Fraisse »).

Ainsi, pour Jean-Luc Mélenchon, du Parti de gauche, le « refus français [de livrer] serait une trahison de la parole donnée ». Et de dénoncer une « diplomatie floue hypocrite n’est que le paravent de l’alignement odieux de notre pays sur la politique guerrière des Etats-Unis contre la Russie ».

Invité du « 12/13 Dimanche » (France 3), le 16 novembre, le secrétaire national du Parti communiste français (PCF), Pierre Laurent, a estimé qu’il faut « sortir de la logique de confrontation avec la Russie qu’a endossée la France derrière les Etats-Unis, et qui ne mène à rien pour régler le conflit ukrainien, d’ailleurs Poutine lui-même s’accommode assez bien de cette logique de tension ». Et donc livrer les navires.

Le Front national (FN) est exactement sur la même ligne. « C’est la parole de la France qui est engagée. Or, nous savons pertinemment que c’est à la demande express du président des États-Unis que ce contrat a été rompu », a déclaré Marine Le Pen, le 24 octobre, à Arras. « Nous ne sommes pas les caniches des États-Unis, redevenons enfin une nation libre et souveraine », a-t-elle ajouté.

« Comment un pays pourra passer un contrat avec la France s’il pense que, sur une simple demande de M. (Barack) Obama (le président des États-Unis), la France va renoncer au dernier moment à un contrat sur lequel elle a déjà touché une partie de l’argent? » a encore demandé Mme Le Pen.

On verra, si, effectivement, ces tergiversations au sujet de ces BPC commandés par la Russie auront des conséquences sur les contrats passés cette année par l’industrie française de l’armement, un premier aperçu devant être donné en février/mars. En tout cas, c’est sous l’angle de l’obligation d’honorer la signature de la France que plusieurs personnalités de l’UMP défendent la livraison des navires.

« Nous avons signé un contrat et pris des engagements. Il faut honorer la parole de la France. Il n’y a pas d’embargo sur les armes à destination de la Russie, par conséquent, il faut les livrer », a affirmé Henri Guaino, plume de l’ex-président Sarkozy et député des Yvelines. Pour rappel, les sanctions de l’Union européenne prises à l’égard de la Russie concernent le domaine militaire, à l’exception des contrats déjà signés.

Candidat à la présidence de l’UMP, Hervé Mariton pense la même chose, comme, du reste, certains députés de la « Droite populaire », un courant emmené par Thierry Mariani, qui a fait le voyage à Moscou, en septembre, avec une quinzaine de parlementaires de toutes tendances, pour apporter un soutien à Vladimir Poutine. Chacun en tirera ses propres conclusions.

Alors aux manettes au moment de signer le contrat avec Moscou, Nicolas Sarkozy s’est dit favorable à la livraison du Vladivostok. « La Russie est un partenaire naturel de la France » et Paris doit « honorer sa parole sur le contrat des Mistral », a-t-il affirmé lors d’une réunion publique à Aulnay-sous-Bois. « On peut défendre l’idée de ne pas livrer les Mistral – moi je défends l’idée qu’il faut les livrer – on peut parfaitement le défendre, y compris dans ma propre famille politique, ce n’est pas un sujet qui doit nous fâcher », a-t-il admis.

« Ce que je n’accepte pas en revanche, c’est qu’on décide la suspension de la livraison des Mistral de manière piteuse la veille d’un sommet de l’Otan parce que le président des Etats-Unis d’Amérique vous le demande. La France se détermine par elle-même, non pas parce que tel ou tel lui demande d’avoir une position », a ajouté l’ex-président. « Bref, en résumé, ça a été mal géré au début, ça a été mal géré pendant et à l’arrivée, c’est très mal géré », a-t-il ironisé.

Cependant, au sein de l’UMP, certains responsables ont exprimé des avis plus nuancés, si ce n’est différents. Ainsi, s’il a estimé, le 16 novembre, que le président de la République « doit défendre les intérêts de notre pays et en aucun cas céder à des injonctions, qui sont des provocations » de la Russie, François Fillon a affirmé qu’il « il faudra un jour livrer ces bateaux parce que les contrats que la France a passés en matière d’armement doivent être respectés » mais qu' »il faut que les conditions soient réunies ».

« Si la France estime qu’elle est en mesure aujourd’hui de prendre de nouvelles initiatives vis-à-vis de la Russie pour faire progresser la cause de la paix en Ukraine, que les accords de Minsk soient respectés et que le cessez-le-feu soit respecté, le président de la République peut naturellement retarder la politique de livraison de ces bateaux », a expliqué M. Fillon, pour qui il faut « avoir une position ferme vis-à-vis de la Russie », dans le cadre d’une position commune aux Européens, non alignée sur celle des États-Unis.

Concurrent de M. Sarkozy à la présidence du parti, Bruno Lemaire, s’était quant à lui montré plus catégorique dès mars dernier. À cette époque, l’ancien ministre de l’Agriculture soutenu par une cinquantaine de parlementaires, avait demandé sur les ondes de RMC de « la cohérence en matière de politique étrangère ». Et d’ajouter : « Si on veut faire revenir Vladimir Poutine à la table de négociations, nous devons faire montre d’une fermeté qui a manqué à l’Union européenne et qui a manqué à la France », ce qui passait, selon lui, par la supension des deux BPC à la Russie car « c’est la seule manière de montrer que réellement, nous sommes déterminés ».

Ministre de la Défense au moment de la signature du contrat et particulièrement en vue ces temps-ci, Alain Juppé ne s’est pas exprimé sur ce sujet (du moins, ses déclarations, s’il y en a, sont difficiles à trouver). Cela étant, cet ancien patron du Quai d’Orsay (gouvernement Balladur) s’est prononcé pour des sanctions économiques à l’égard de la Russie. « C’est cela ou rien. Or rien, c’est l’encouragement donné à Poutine pour continuer et il continuera si on ne marque pas un coup d’arrêt », avait-il affirmé en avril.

Son prédécesseur à l’Hôtel de Brienne, le centriste Hervé Morin (UDI), est désormais contre la livraison du Vladivostok… Parce que les conditions ont changé depuis la signature du contrat. « La Russie, aujourd’hui, très clairement, mène des actions dans un État souverain, l’Ukraine, avait-il affirmé sur Europe1, le 1er septembre.

« Il serait incompréhensible que la France livre ce bâtiment », avait-il ajouter, avant de se défendre de la décision de 2011. « Cela s’est fait avec des chantiers navals à Saint-Nazaire qui n’avaient plus de boulot. (…) Et l’ensemble des pays européens, et je me souviens de discussions au sein même de l’Otan, disaient qu’il fallait bâtir un nouveau partenariat stratégique avec les Russes. (…) Tout cela correspondait à un contexte radicalement différent de celui d’aujourd’hui », avait-il fait valoir.

Pour autant, cet avis n’est pas partagé à l’UDI, dont le site Internet reproduit le communiqué du député Philippe Folliot, élu du Tarn. Ce parlementaire avait estimé, le 4 septembre, que la décision du président Hollande de suspendre la livraison était une « très mauvaise nouvelle pour la crédibilité de la diplomatie française » et qu’elle « fragilisait  l’ensemble des contrats d’armement en cours de discussion », comme celui conclu avec l’Arabie Saoudite au profit du Liban. Seulement, quelques semaines plus tard, ce dernier a finalement été conclu…

Enfin, pour terminer ce tour d’horizon politique, François Bayrou, le président du Modem, avait admis sur RTL, fin septembre, qu’il ne savait pas ce qu’il fallait faire. « Ca ne peut être qu’une décision européenne », avait-il affirmé, en disant comprendre les hésitations du président Hollande.

Quoi qu’il en soit, à l’occasion du G-20 de Brisbane (où il n’a pas évoqué le sujet avec son homologue russe), le chef de l’État a affirmé qu’il prendrait sa « décision en dehors de toute pression, d’où qu’elle vienne et en fonction de deux critères, les intérêts de la France et l’appréciation (que j’ai) de la situation ».

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