Des sénateurs réservés au sujet du futur drone tactique de l’armée de Terre

En 2011, la commission des Affaires étrangères et des Forces armées du Sénat avait exprimé son hostilité au projet du ministère de la Défense d’acquérir des drones MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) israéliens Heron TP, francisés par Dassault Aviation, pour soutenir l’achat du MQ-9 Reaper du constructeur américain General Atomics.

Finalement, les sénateurs eurent gain de cause. Désormais, deux Reaper sont mis en oeuvre par l’armée de l’Air dans la bande sahélo-saharienne (BSS) donnent pleinement satisfaction, au point où il est difficile de s’en passer. Depuis leur entrée en service, en janvier 2014, ces deux appareils ont effectué plus de 2.000 heures de vol.

Va-t-on assister à la même « guérilla » parlementaire pour le choix du futur drone tactique (SDT) de l’armée de Terre? À lire le compte-rendu de l’audition de Laurent Collet-Billon, le délégué général à l’armement (DGA) par cette même commission sénatoriale, on pourrait le penser.

Le processus de sélection est désormais en cours. « Les obsolescences incompatibles avec le maintien en service du SDTI (système de drones tactiques intérimaire, Sperwer) au-delà de 2017 nécessitent le lancement de son successeur dès 2015, pour lequel le financement est programmé », a ainsi récemment expliqué le général Bosser, le chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT).

Pour ce dernier, il s’agit d’un programme « dimensionnant », dont l’utilité a été « confirmée sur les théâtres d’engagement son importance au niveau tactique et pour la protection rapprochée de la force ». Et d’ajouter : « Une approche par les coûts, trois fois inférieurs au MALE, à l’achat et en soutien, me porte à penser que son acquisition est justifiée. D’un point de vue opérationnel, la nécessité, déjà avérée en Afghanistan, vérifiée à Serval, de disposer de drones tactiques se confirme dans la BSS ».

Comment le successeur des Sperwer sera-t-il désigné? Lors de son audition, M. Collet-Billon a parlé d’une « concurrence sans publicité », c’est à dire que les compétiteurs sont « choisis ». « D’autres sociétés souhaitent se porter candidates. Nous n’avons pas encore répondu », a-t-il dit.

« La compétition est lancée. Des vols d’évaluation auront certainement lieu courant 2015 pour ceux qui auront été retenus in fine. Je ne sais ce qui se passera après. On pourra bien sûr choisir un vainqueur », a expliqué le DGA.

Les noms des constructeurs sollicités n’ont pas été précisés. Mais l’on peut supposer, sans se tromper, que le Watchkeeper de Thales UK (un drone Hermes 450 d’origine israélienne modifié pour les besoins des forces britanniques) fait partie de la sélection. De même que le Patroller de Sagem. Peut-être que Shadow 200 de l’américain AAI, est aussi dans la course.

En 2012, un rapport du Sénat estimait que la solution du Shadow 200 était « épouvée », étant donné que l’US Army en possédait, à l’époque, 400 exemplaires ayant cumulé 600.000 heures de vol. « Les derniers exemplaires ayant été livrés en 2011, et certaines adaptations étant déjà planifiées, sa pérennité semble assurée pour les 10 années à venir. A ce jour, la charge utile EO/IR actuellement embarquée sur le Shadow 200 présente des performances très insuffisantes (inférieures au SDTi). Des charges utiles plus performantes existeraient pour ce type de vecteur, leur intégration devrait donc être envisagée comme une adaptation indispensable », expliquait le document.

Quoi qu’il en soit, l’appareil de Thales UK est le favori de cette compétition « sans publicité ». L’ancien CEMAT, le général Ract-Madoux, avait affirmé en 2013 vouloir « obtenir un ou deux drones Watchkeeper en leasing avant leur livraison prévue en 2017 ». Et cela même si les premières expérimentations de cet engin par l’armée de Terre, dans le cadre des accords franco-britanniques de Lancaster House, n’ont pas été aussi satisfaisants qu’espéré, le DGA ayant parlé, à l’époque, d’un « manque de maturité ».

« Nous avons expérimenté le drone Watchkepper pendant plusieurs mois dans les « tablissements de la DGA ; la maturité du produit pourrait être meilleure. Pour que nous acceptions de le considérer il faudra nous démontrer que sa maturité est supérieure à celle que nous avons constatée. Un appel d’offres pourquoi pas, mais pour le Watchkeeper il y avait quelque chose-là qui était très séduisant qui allait au-delà de la simple acquisition et s’intégrait dans une coopération opérationnelle », avait en effet expliqué M. Collet-Billon, en octobre 2013. Qui plus est, l’achat de l’appareil de Thales UK pourrait être lié à celui, par la British Army, de Véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI).

Aussi, si le choix du Watchkeeper paraît évident pour beaucoup, il l’est moins pour les sénateurs. Ainsi, les auteurs d’un autre rapport, portant cette fois sur les crédits de la Défense pour 2014, ont dit souhaiter « relever que, au-delà de toutes les déclarations d’intention, la filière de drones tactiques mise en place par l’industriel Sagem avec le drone Sperwer et le drone Patroller, est la seule filière industrielle française et même européenne à l’oeuvre depuis plus d’une décennie, qui produit et qui crée des emplois ». Un façon subtile de faire comprendre que le constructeur français a une carte à jouer.

Mais lors de l’audition de M. Collet-Billon, à demi-mots, le sénateur Daniel Reiner a semblé remettre en cause le choix du Watchkeeper et du Patroller, dont les performances sont proches d’un drone MALE (ce qui est surtout vrai pour le second). Pour rappel, un appareil tactique doit servir à éclairer la situation d’un Groupement tactique interarmes (GTIA), en permettant, par exemple, de reconnaître un itinéraire.

« Le sénateur Reiner est en train de nous expliquer, à demi-mots, que les performances de ce système sont beaucoup trop près des performances du drone MALE… », a dit M. Collet-Billon, avant d’être coupé par le président de la séance, Jacques Gautier, qui a rappelé qu’il a aussi besoin « de relais au sol ».

« Ce sont des choses sur lesquelles il faudra effectivement se pencher. La véritable question est de savoir si l’armée de terre n’a pas en priorité besoin d’un système plus tactique », a répondu le DGA.

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