Les enjeux de la bataille de Kobané

Troisième ville kurde de Syrie, Kobané est située à seulement quelques kilomètres de la frontière avec la Turquie. Depuis le 16 septembre, elle résiste aux assauts lancés par les jihadistes de l’État islamique (EI ou Daesh).

1- Pourquoi l’EI veut-il s’emparer de Kobané?

Pour l’EI, Kobané est un objectif majeur dans la mesure où sa prise lui donnerait plusieurs avantages non négligeables. Le premier lui permettrait de sécuriser l’axe routier reliant Raqqa (son bastion) à Alep. En outre, un succès lui donnerait une continuité territoriale le long de la frontière turque, ce qui lui faciliterait à la fois l’accueil de nouveaux combattants via la Turquie et la vente en contrebande du pétrole exploité dans les régions qu’il contrôle déjà. Enfin, il pourrait ensuite se concentrer sur la ville syrienne pétrolière d’Hassaké, qui est aussi un verrou stratégique entre les territoires qu’il contrôle en Syrie et en Irak.

L’assaut lancé contre Kobané par les jihadistes n’est pas le premier. En juillet, ces derniers avaient déjà repoussés par les miliciens des Unités de protection populaire (YPG), le bras armé du Parti de l’union démocratique (PYD), une formation kurde proche du Parti des travailleurs du Kurdistan turc (PKK). Là, devant la résistance qui lui est opposée et les frappes aériennes de la coalition, l’EI envoie quasiment en continu des renforts en hommes, munitions et équipements.

2- La perte de Kobané compromettrait un éventuel Kurdistan autonome en Syrie

Politique, le PYD est proche du PKK kurde. Et donc de son idéologie nationaliste et marxiste-léniniste. Son objectif est d’obtenir l’autonomie du Kurdistan syrien par rapport à Damas en écartant – sans ménagement – les formations politiques qui ne partagent pas ses vues.  Ainsi, en novembre 2013, il a déclaré autonomes 3 cantons du nord de la Syrie : Jazira, Afrin et… Kobané. La perte de la ville porterait donc un rude coup à ce projet, ce qui ne serait pas pour déplaire à Ankara.

3- Pourquoi la Turquie laisse faire?

Il a été dit beaucoup de choses sur la passivité de la Turquie – qui a pourtant rejoint la coalition anti-EI emmenée par les États-Unis – dans cette affaire, souvent sous le coup de l’émotion. Un célèbre philosophe, qui a récemment connu un bide au théâtre, n’a-t-il pas posé la question de l’appartenance d’Ankara à l’Otan?

Le gouvernement islamo-conservateur turc a une priorité : la chute du régime de Bachar el-Assad. Aussi, il est accusé d’avoir fait preuve de bienveillance à l’égard de l’EI, la fin justifiant les moyens. Là, ses forces armées sont à portée de tir de Kobané et, pourtant, elles restent l’arme au pied. Ce qui suscite une certaine incompréhension.

À vrai dire, la couleur politique du gouvernement turc ne change rien au problème et l’on peut faire le pari que si l’armée tirait encore les ficelles à Ankara, la position turque à l’égard de Kobané aurait été la même. Pourquoi? Tout simplement parce que le PYD syrien est le frère jumeau du PKK turc, considéré comme terroriste non seulement par la Turquie mais aussi ses alliés.

Aussi, il est hors de question, pour Ankara, de voir se constituer à sa frontière une région kurde autonome, voire même indépendante, qui servirait ensuite de base arrière pour le PKK, avec lequel, pourtant, les autorités turques ont engagé un processus de paix.

Cela étant, les choses que l’on cherche à éviter à tout prix finissent souvent par arriver. En bloquant, à sa frontière, les volontaires kurdes souhaitant se battre à Kobané contre l’EI et en n’intervenant pas, Ankara prend un double risque : celui d’avoir une frontière commune avec les jihadistes et celui d’alimenter la colère des Kurdes sur son territoire (ils sont au moins 15 millions), ce qui ravivera le conflit avec le PKK que le gouvernement turc a cherché à éteindre pendant des années (et qui a fait 30.000 tués…)

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