Amiral Rogel : « Si nous ne prenons pas soin de notre zone économique exclusive, elle sera pillée »

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La France dipose du second domaine maritime (ou zone économique exclusive, ZEE) du monde, avec 11 millions de km2 de surface. Et cela grâce à ses possessions outre-Mer. Et leurs fonds marins sont susceptibles de receler des ressources très intéressantes. Par exemple, les îles Eparses sont situées dans une zone (canal du Mozambique) qui pourrait devenir une nouvelle « mer du Nord » en raison des évaluations portant sur ses réserves potentielles en hydrocarbures (entre 6 et 12 milliards de barils de pétrole et de 3 à 5 milliards de m3 de gaz).

« L’accès à des richesses potentielles, comme des hydrocarbures, des encroûtements cobaltifères, nodules polymétalliques et terres rares, matériaux indispensables aux industries de pointe, constitue un atout considérable pour notre pays s’il contribue à un nouveau modèle de développement durable, en particulier au profit des collectivités ultramarines », estimait, l’an passé, Gérard Grignon, auteur d’un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) à ce sujet.

Les ressources de cette ZEE sont donc un enjeu d’autant plus de taille que l’économie française aurait bien besoin de les exploiter. Lors son audition devant les députés de la commission de la Défense dans le cadre du projet de loi de finances 2015, le chef d’état-major de la Marine nationale (CEMM), l’amiral Bernard Rogel, a abordé les défis à venir dans le domaine maritime.

« Dans le monde actuel, il existe, au point de vue maritime, un paradoxe dans la présence concomitante d’un phénomène de maritimisation, d’interconnexion croissante des pays par les flux maritimes permis par la liberté des mers, et d’un phénomène de territorialisation des océans, c’est-à-dire d’établissement de nouvelles frontières en vue de protéger ou d’accaparer des ressources », a commencé par souligner l’amiral Rogel. « Je ne sais pas aujourd’hui comment s’opérera l’équilibre entre les deux tendances, mais il est certain que la territorialisation créera des tensions en mer », a-t-il estimé.

Du coup, a-t-il ajouté, la France sera, compte tenu de sa ZEE, un « acteur de ce paradoxe ». Au même titre que d’autres puissances qui ont « compris les enjeux maritimes », comme la Chine, la Russie, l’Inde et le Brésil. Ces pays, a relevé l’amiral Rogel, « développent des programmes navals importants ». Et d’ajouter : « C’est ce que j’appelle la tectonique des puissances maritimes ». Gare, donc, aux frictions…

Et la Chine est sans doute le pays qui met le plus d’ardeur, actuellement, à se doter de forces navales conséquentes, avec un large spectre capacitaire. Ainsi, a indiqué l’amiral Rogel, elle « a construit une frégate tous les trois mois entre 2010 et 2013 » et on « ne peut plus la considérer comme un simple acteur régional : c’est désormais un acteur mondial, dont la flotte fait des escales jusqu’au golfe arabo-persique, y compris en Iran, et qui déploie des sous-marins dans l’océan Indien, des frégates dans l’est de la Méditerranée ». La Russie n’est pas en reste, avec la modernisation, notamment, de ses forces sous-marines/

Aussi, selon le CEMM, « dans ces pays, la marine est au service d’une véritable politique de puissance maritime qui leur permet à la fois d’affirmer leur statut sur la scène internationale et de contrôler des espaces maritimes étendus ».

Mais s’agissant de l’outre-Mer, les moyens de la Marine nationale ne sont pas à la hauteur des enjeux. Par exemple, à La Réunion, elle devra désarmer son patrouilleur austral « Albatros », certes mis sur cale en 1966… Et l’incendie à bord récent à bord de la frégate Nivôse ne va évidemment arranger les choses, d’autant plus que l’immobilisation du navire pour réparations s’annonce longue.

Dans le Pacifique (80% de la ZEE française), les moyens sont là aussi faible au regard des surfaces à surveiller, avec deux frégates, autant de patrouilleur P400 « particulièrement anciens », comme l’avait noté le CEMM lors d’une précédente audition.

« Nous subissons un certain nombre de réductions temporaires de capacité, et singulièrement outre-mer », a lâché l’amiral Rogel. « Or, a-t-il poursuivi, si nous ne prenons pas soin de notre zone économique exclusive, elle sera pillée. »

À un député qui lui a demandé quelles seraient les conséquences du développement d’une flotte de haute-mer chinoise pour la marine française dans le Pacifique, l’amiral Rogel a répondu qu' »en mer de Chine, les pays riverains connaissent des frottements avec la marine chinoise. Nous le verrons demain dans notre ZEE, comme partout où se trouvent des ressources : le mouvement de territorialisation des océans ne s’arrêtera pas à nos frontières ».

Enfin, l’amiral Rogel a dit sa préoccupation de l’état actuel des marines européennes… « La France est à cet égard un îlot de verdure dans un désert européen », a-t-il dit. C’est dire… « La conquête des ressources à la mer, ce sera, demain, Jurassic Park : faisons en sorte que l’Europe n’y joue pas le rôle de Bambi. La Chine est la deuxième puissance maritime au monde en tonnage, elle a un besoin très important de ressources naturelles ; c’est un acteur du jeu maritime », a-t-il conclu sur cette question.

Photo : Patrouilleur austral Albatros – (c) Marine nationale / Natacha Hochman

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