Général de Villiers : « Aujourd’hui, la cohérence globale de nos armées est fragilisée »

Chef d’état-major des armées (CEMA) depuis février, le général Pierre de Villiers a dressé un constat lucide sur la politique de défense, lors du discours de clôture de la session nationale de l’Institut des Hautes Etudes de la Défense nationale (IHEDN), prononcé le 19 juin.

« Nous avons encore de belles armées, des armées engagées, des armées qui protègent et qui gagnent, des armées reconnues à l’international. Nos alliés saluent notre leadership et nos capacités. (…) Depuis 4 mois que je rencontre mes homologues européens, américains, africains, arabes et asiatiques, c’est toujours une vraie admiration pour l’audace de notre stratégie, la qualité de nos soldats, et leurs prouesses sur le terrain », a d’abord tenu à souligner le général de Villiers en guise d’introduction. Toutefois, il n’a rien caché des difficultés qui attendent ces mêmes forces armées dans la « nouvelle phase de leur transformation », laquelle est « délicate regard de l’ambition, des ressources » et de leur « situation présente ».

Etant donné la réduction continue des effectifs et des moyens (en 2014, le ministère de la défense a assumé 60% des suppressions d’emploi de l’État, a rappelé le CEMA), la dispersion des forces déployées, tant en opérations extérieures que dans la défense territoire national (la vocation première des armées), « met certaines de nos capacités sous tension ».

Et d’expliquer : « La multiplication des opérations impose en effet de dupliquer des capacités de renseignement, de commandement, de soutien technique et logistique, alors que plusieurs d’entre elles reposent sur des équipements et des effectifs très limités », ce qui concerne également « certaines capacités de combat », notamment les « plus pointues » car ce sont souvent les « plus sollicitées ». Aussi, il est difficile dans ces conditions d’intervenir sur deux théâtres en même temps, tout en continuant à former le personnel », a estimé le général de Villiers, qui fait un constat simple : « on ne peut plus prétendre tout faire, ni agir partout en même temps, avec la même intensité. Il faut être souple et adaptatif, mais il faut des objectifs clairs, hiérarchisés et réalistes ».

S’agissant de la Loi de programmation militaire 2014-2019, votée par le Parlement en décembre, le CEMA a souligné que « nous avons déjà accepté d’aller au bout du bout du possible « , tout en ayant déjà « intégré un niveau de coopération européenne et otanienne aléatoire, sans parler des hypothèses d’exportation d’équipements particulièrement ambitieuses ». En clair, « le costume est déjà taillé au plus juste », a-t-il estimé.

Aussi, le modèle 2025 défini par le Livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale et sa traduction financière qu’est la LPM est « le dernier repli du modèle d’armée complet et cohérent dont la France a besoin pour assumer ses responsabilités au niveau affiché dans le Livre blanc ». Et il n’y a plus le droit à l’erreur : « la moindre encoche budgétaire, avertit le général de Villiers, aura des effets directs et immédiats » et « impliquerait ni plus, ni moins de construire un nouveau projet et d’en assumer toutes les conséquences dans les domaines opérationnel, capacitaire, économique et social ». Et il faudrait revoir aussi « l’ambition nationale ».

Qui plus est, les restructurations qui se succèdent depuis 20 ans ne sont pas sans conséquences sur le moral des militaires, le CEMA évoquant une « dégradation sensible », soulignée par  » les rapports internes ainsi que dans le rapport que le haut comité d’évaluation de la condition militaire, autorité indépendante vient de remettre au Président de la République ». Pour le général de Villiers, globalement, le « personnel ressent de la lassitude, de la résignation : il traverse une crise de confiance qui, d’ailleurs, n’est pas sans lien avec celle que traverse la société en général ». « C’est un sujet sur lequel j’alerte régulièrement l’autorité politique », a-t-il dit. Aussi, a-t-il poursuivi,  » toute économie supplémentaire demanderait d’autres efforts, avec le risque non maîtrisé de franchir le seuil de l’acceptabilité sociale ».

Alors que, lors d’une audition devant la commission des Finances de l’Assemblée nationale, le secrétaire d’Etat au Budget, Christian Eckert, estimait qu’il y avait encore des économies à faire dans le fonctionnement des armées, le général de Villiers les cherche encore…

S’agissant de la déflation des effectifs (-82.000 sur 2009-2019), le CEMA a estimé que l’on peut « difficilement aller plus loin, quels que soient les leviers considérés : le recrutement, l’avancement, la condition du personnel ».

Suspendre le recrutement pendant un an « entraînerait une dégradation de la capacité opérationnelle  » et un gel conplet de l’avancement sur la même période « entraînerait un gain de 20 M€, dérisoire au regard des enjeux financiers et du risque social ». Quant à la condition du personnel, elle « représente 45 M€ dans cette LPM contre 90 dans la précédente. Et ces 45 M€ sont déjà gagés par des mesures inéluctables. En fait, concrètement, il n’y a pas de mesures nouvelles de condition militaire dans la LPM ». Et le général de Villiers de demander : « Quel autre corps de l’État assumerait un tel effort sans compensation sociale, dans ces conditions? »

Pour les dépenses de fonctionnement (et non de train de vie, a souligné le CEMA), « l’agrégat est déjà contraint au-delà du raisonnable en construction de LPM, pour permettre de moderniser les équipements a minima ». Malgré tout, 100 millions d’euros ont été ponctionné en 2014, « malgré les signaux d’alerte », comme par exemple le déblocage en urgence, l’an passé, de 30 millions pour « satisfaire en partie les besoins les plus basiques, comme le chauffage ». Là encore, le général de Villiers interroge : « Comment aller plus loin dans les économies de fonctionnement, quand la hausse de la TVA n’est pas compensée et que les coûts de l’énergie et des fluides représentent 40% des dépenses des bases de défense ? Comment aller plus loin lorsque la carte des unités à regrouper ou à dissoudre n’est communiquée qu’année après année? ».

En outre, il n’est absolument pas question pour le CEMA de rogner encore sur la préparation opérationnelle, dont la qualité fait « succès des forces en opération et, en conséquence, garantit la liberté d’action du politique ». Déjà, a-t-il rappelé « nous avons accepté en construisant la LPM un niveau d’entraînement déjà dégradé, 15 à 20% sous les standards fixés par l’OTAN » et « c’est un minimum, dans un contexte d’engagement opérationnel soutenu ».

« Descendre sous le niveau visé augmenterait en outre le risque pour le combattant, en opération comme à l’entraînement, et augmenterait le risque social : en période de réforme, seule l’activité opérationnelle compense les sacrifices qu’il faut consentir au quotidien. Car c’est bien un paradoxe, oui, les soldats râlent… pour faire leur métier! », a expliqué le général de Villiers.

Enfin, les investissements concernant les grands programmes d’équipements et la dissuasion ont également été raboté. De 40% pour les premiers, par rapport à la LPM 2009-2014 et de 10% pour le seconds… « Les réductions et l’étalement des commandes entraîneront un vieillissement accru des matériels qu’ils sont censés remplacer avec, dans certains cas, des réductions temporaires de capacités : véhicules terrestres de combat, hélicoptères, aviation de chasse, de transport, de ravitaillement en vol et de patrouille maritime, frégates de tous types », a prévenu le CEMA.

Les « réformes ont été réalisées dans le cadre de ressources en constante diminution, alors que nos forces restaient très engagées en opération. Il s’en est suivi une érosion continue des conditions de vie et de travail, malgré des efforts considérables de rationalisation au sein de chaque armée et en interarmées : réduction des effectifs; transfert ou dissolution d’unités et de bases; création d’une chaîne interarmées du soutien ; mise en place des bases de défense, etc. Aujourd’hui, la cohérence globale de nos armées est fragilisée » a résumé le général de Villiers dans sa conclusion.

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