Deux experts du CEA sont très sceptiques sur la détection des antineutrinos émis par les sous-marins nucléaires

La force d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) est sa très grande discrétion, notamment acoustique. Mais, dans un récent article du Point, il est avancé que la position de ces navires pourrait être à l’avenir trahie à cause de l’émission par leur chaufferie nucléaire de particules élémentaires appelées neutrinos/antineutrinos.

Il est en effet actuellement possible de détecter ces particules (ce qui relativement récent) avec des équipements très imposants, qui plus est obligatoirement enfouis sous terre ou sous mer afin d’éviter les interférences dues au rayonnement cosmique.

Pour autant, cela signifie-t-il que la composante océanique de la dissuasion nucléaire serait bientôt vulnérable, car détectable? Ce n’est pas si simple… Cette question a en tout cas été abordée lors de l’audition par les députés de la commission « Défense » de Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et de Daniel Verwaerde, directeur des applications militaires.

« Pour ce qui concerne les neutrinos et antineutrinos, il s’agit d’un sujet dont je crains que la complexité n’échappe souvent à ceux qui l’évoquent », a estimé M. Bigot. « Le CEA mène, à proximité d’installations d’EDF, des travaux scientifiques civils, en partenariat avec les États-Unis, le Royaume-Uni, le Japon, la Russie (…) afin d’explorer les potentialités que recèlent ces particules en termes de capacité de détection. Je vous invite à vous rendre à Chooz, dans les Ardennes, où vous pourrez constater la complexité et la taille considérables du détecteur placé à proximité d’un réacteur en service continu contenant 140 tonnes de combustible afin de détecter seulement quelques neutrinos, ce qui représente déjà un défi », a-t-il expliqué aux députés.

Aussi, au vu des installations nécessaires pour déceler quelques particules émises par un réacteur fixe, le jour où ce sera possible pour tenter de repérer des sous-marins mobiles dont la chaufferie est bien plus réduite n’est pas pour demain. « Le dispositif expérimental (de Double Chooz) de plusieurs dizaines de mètres cube et comprenant des centaines de détecteurs doit être souterrain et protégé de tous signaux, dont les rayonnements cosmiques; il s’agit donc d’un appareil scientifique extrêmement lourd qui semble aujourd’hui inadapté à une utilisation opérationnelle, qui relève de mon point de vue de la pure science-fiction », a insisté Bernard Bigot.

Le directeur des applications militaires a encore été plus précis. Dans l’expérience Double Chooz, installée quelques centaines de mètres d’un réacteur EDF, il est possible de mesurer « à l’heure, seulement quelques dizaines de ces particules » complexes, qui « changent de nature durant leur propagation », alors qu’elles sont pourtant « émises en très grand nombre ». Pourquoi? tout simplement parce qu’elles « interagissent très peu avec la matière, au contraire des neutrons qui la percutent ».

« La probabilité d’interaction des neutrons pour interagir est de 10^-24 alors que celle de l’antineutrino est de  10^-42 ou 10^-43. La probabilité d’interaction est donc globalement des milliards de milliards de fois plus faible que celle des neutrons. Si dans un réacteur sont effectivement fabriqués à peu près autant de neutrinos que de neutrons, la quasi-totalité des neutrons est confinée à l’intérieur du réacteur grâce au réflecteur, alors que la quasi-totalité des neutrinos s’échappe et traverse une large part de l’Univers. Le réacteur EDF étant plusieurs dizaines de fois plus puissant que celui d’un sous-marin, on peut estimer pouvoir détecter au mieux quelques particules, à la condition toutefois d’être à proximité immédiate d’un sous-marin immobile », a poursuivi le directeur des applications militaires.

Aussi, a-t-il résumé, « les ordres de grandeur de la physique ne permettent aucune détection réaliste ». Et quant « l’extrême difficulté à capturer un neutrino aujourd’hui », elle sera la même « dans 100 ans », car il « s’agit d’un invariant depuis la nuit des temps », a conclu M. Verwaerde. Qui plus est, a-t-il précisé, « le CEA et la DAM travaillant sur ce sujet depuis 2000, nous aurions, avec la DGA, alerté nos tutelles si une menace avait existé ».

Pourtant, le Délégué général à l’armement (DGA), Laurent Collet-Billon, avait affirmé, devant la même commission que « les particules émises en nombre ridiculement faible par les réacteurs nucléaires embarqués seront peut-être un jour détectables dans les conditions tactiques »… Mais il avait tout de suite estimé que cela semblait « aujourd’hui peu envisageable ».

Mais pour le DGA, la principale menace pour la discrétion des SNLE viendrait de l’espace… « Il sera sans doute aussi possible, à terme, de détecter depuis l’espace le fouillis de surface provoqué par le déplacement d’un sous-marin navigant même à très faible vitesse et à grande profondeur, alors que le phénomène est quasiment indécelable aujourd’hui’, avait-il affirmé.

Et les autorités sont pleinement conscientes de ce risque. Dans un rapport sur la dissuasion rédigé dans le cadre de la discussion sur le projet de loi de finances 2011, le député François Cornut-Gentille l’avait parfaitement identifié. « La double composante permet enfin de se prémunir contre toute surprise technologique. Actuellement, plusieurs États, dont la Russie, essaient de développer des systèmes satellitaires de détection des sous-marins. Si de tels programmes venaient à aboutir, cela signifierait la fin de la composante océanique dont le principe de base est de ne pas être détecté. Dans cette hypothèse, la dissuasion britannique, fondée uniquement sur la composante océanique, n’aurait plus de sens alors que la dissuasion française conserverait sa pertinence grâce à la composante aéroportée », avait-il écrit à l’époque.

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