Les militaires français ont de (très) bonnes idées

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Ils ne sont pas forcément ingénieurs, ce qui ne les empêche pas d’être ingénieux, et n’ont pas de laboratoire. Ils ne travaillent pas non plus une entreprise de haute technologie et ne reçoivent pas de stock-options. Mais en revanche, confrontés à des situations ou à des problèmes particuliers au cours de leur carrière, ils ont su trouver des solutions, pour certaines très « pointues », qui ont été récompensées par la Mission innovation participative (MIP), laquelle vient de célébrer ses 25 ans d’existence le 28 mai dernier.

Cette MIP trouve son origine dans un concours d’innovations lancé par l’amiral Le Pichon qui commandait un groupe aéronaval dans les années 1980 (la France avait alors 2 porte-avions…) dans les eaux du golfe arabo-persique au moment de la guerre Iran/Irak.

Cette opération (appelée Prométhée) s’éternisant, avec en prime une multiplication de situations imprévues, le pache eut l’idée de solliciter son équipage, du matelot à l’officier de marine, pour trouver des solutions visant à améliorer le fonctionnement du groupe. De ce concours naîtra une innovation majeure : le système TITANE, qui, installé à bord d’un avion Alizé, permettra de recueillir, de traiter et de transmettre des données lors des missions de reconnaissance, et de surveiller ainsi 3 fois plus de navires en 3 fois moins de temps.

De retour à Paris, l’amiral Le Pichon fit part de cette expérience au ministre de la Défense de l’époque avec des arguments solides comme le TITANE… La démarche fut ainsi institutionnalisée et la MIP fut créée. Cela étant, ce type démarche, consistant à soutenir les innovateurs militaires est ancienne : elle était en effet déjà encouragée lors de la Première Guerre Mondiale, comme l’a souligné le colonel Goya dans une récente lettre du RETEX.

Installée à Balard, à Paris, la MIP est constituée par une petite équipe de 5 personnes. Chaque année, elle étudie les projets qui lui sont présentés spontanément par des militaires, quelle que soit leur affectation, pour en retenir une cinquantaine. Ensuite, Une fois cette étape franchie, les innovateurs ont 18 mois pour présenter un prototype, avec l’objectif de le faire évoluer pour qu’il soit un jour utilisé par les forces, voire même commercialisé.

« Notre soutien est financier, mais pas uniquement, nous les mettons aussi en relation avec des des experts du ministère lorsqu’ils ont besoin d’un appui technique, administratif ou juridique. L’idée étant de créer un réseau d’innovateurs impliqués et s’enrichissant mutuellement », explique Pierre Schrane, le responsable de la MIP. « Notre objectif est en effet de créer des passerelles entre les projets MIP et les projets de type RAPID pour accélérer la transformation des idées en matériels commercialisables, aussi bien pour la Défense que pour le monde civil « , ajoute-t-il.

En 25 ans, 620 projets, porteurs d’avancés majeures, toujours astucieux et souvent peu coûteux, ont ainsi été concrétisés. Certains ont permis des économies substantielles. En 1989, le capitaine Philippe Cornu, le major Serge Letricot et le sergent-chef Marc Jaubert, du Centre d’expériences aériennes militaires de la BA 118, développèrent un lance-leurres qui équipa les Mirage 2000 lors de l’opération Daguet. Cette innovation permit d’économiser entre 5 et 15 millions de francs.

Dans la même veine, les seconds maîtres Valentin Azzopardi et Cédric Balourdet, de la base aéronautique navale de Lanvéoc-Poulmic, ont mis au point un simulateur d’avion Cap 10 (photo), utilisé pour la formation des élèves pilotes de l’aéronavale, en récupérant des instruments de vol d’appareils déclassés pour les associer avec des technologies modernes. Et le résultat parle de lui même : le simulateur, fiable et fonctionnel, a dépassé les 1.000 heures d’utilisation. Le tout pour un coût de conception de seulement 1.800 euros.

Il se peut que des innovations soient susceptibles d’avoir des applications dans le civil. Ainsi, affecté à la BA 701 de Salon de Provence, le capitaine Daniel Gigan a mis au point le démonstrateur technologique TESC qui, destiné à faciliter l’intégration des drones dans la circulation aérienne, intègre des algorithmes basés sur l’observation d’un pilote humain mis en situation de collision en vol. Il se compise d’un capteur optique, d’un mini-PC embarqué et d’un mini écran VGA. Pour cette innovation, l’officier a reçu près de 110.000 euros en 2009.

Actuellement, le capitaine Gigan mène une nouvelle série de tests après avoir introduit une nouvelle innovation. « Le système reproduit le comportement de l’oreille interne qui permet à l’être humain de se tenir en équilibre. Du coup, il n’est plus dépendant des mouvements aérologiques de l’espace », a-t-il récemment expliqué au quotidien La Provence. Et une application inattendue pourrait en découler puisque ce système est susceptible d’aider les aveugles dotés d’une oreillette à se déplacer dans la rue.

Certains projets primés concernent même la dissuasion nucléaire. Ainsi, le major Christophe Dubrulle et le premier maître François Le Bail ont mis au point le système MAGELLAN, un système de conduite opérationnelle de la navigation à bord des SNLE NG (sous-marin nucléaire lanceur d’engins), qui permet d’élaborer en temps réel une solution de navigation accessible au commandant et au chef de quart tout en récupérant les données opérationnelles afin de les exploiter lors des retours d’expérience.

Autre exemple : l’application AUXYLIUM, disponible pour les smartphones et les tablettes vendus dans le commerce. Développée depuis 2011 par le lieutenant Jean-Baptiste Colas, de l’Ecole d’application de l’infanterie de Draguignan, elle réunit sur un même support l’ensemble « des outils numériques utiles à la gestion d’actions de combat pour un soldat sur le terrain : radio tactique, cartographie, GPS, prise d’images, gestion d’évènements, accès à distance des objets connectés comme des capteurs ou des robots ». L’officier s’est d’ailleurs vu remettre, le 28 mai, le prix de l’Audace 2014 par Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense.

D’autres innovateurs ont également été distingué. Citons le lieutenant de vaisseau Jean-Christophe Philippi, qui a inventé un système permettant de calculer rapidement la  viabilité de l’air respiré à bord des sous-marins, l’adjudant Christophe Fournier et l’adjudant-chef Hervé Le Borgne pour la mise au point d’un gilet intégrant les technologies indispensables au travail d’appui aérien, l’adjudant-chef Cyriaque Poinsignion et l’adjudant Frédéric Amardeil (tous deux gendarmes) pour avoir réalisé des tentes et des colis de survie aérolargables, M. Pierre Henri Papelard (DGA), pour

la création d’une version rénovée des platines de protection BLU-11, ce qui permet l’emport de ces dernières par le Rafale M,  le Médecin chef des services Anne Sailliol et le Pharmacien en chef Anne-Virginie Gachet pour le plasma lyophilisé et, enfin, l’ingénieur de deuxième classe Maxime Esquerre, qui a imaginé un dispositif de confinement des effets d’un engin explosif improvisé.

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