Selon un rapport du Sénat, le renforcement des effectifs des forces spéciales sera « difficile à réaliser »

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Le dernier Livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale (LBDSN) préconise d’augmenter les effectifs des forces spéciales de 1.000 personnels supplémentaires d’ici 2019. Avec la cyberdéfense, il s’agit du seul secteur des forces armées qui devrait voir ses moyens humains progresser au cours de ces prochaines années.

Pour les sénateurs Gérard Larcher, Jacques Gautier et Daniel Reiner, qui viennent de rendre un rapport sur les forces spéciales, ce renforcement est parfaitement justifié pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, les parlementaires ont pris le soin de préciser qu’il n’est pas question de palier à une réduction du format des forces conventionnelles. « Si telles étaient les raisons du renforcement, celui-ci serait mal fondé, car les forces spéciales ne sont pas substituables aux forces conventionnelles et il faut absolument éradiquer l’idée que les forces spéciales pourraient faire, avec moins d’hommes et plus d’équipement, que font les forces conventionnelles », écrivent-ils.

D’ailleurs, et pour ne prendre que l’exemple de l’opération Serval, au Mali, l’on a vu que les forces spéciales ne sont pas en mesure de tenir et contrôler une zone conquise, à la différence des troupes conventionnelles, avec lesquelles elles ne peuvent être que complémentaires. « Etant deux outils militaires différents, notent les sénateurs, le renforcement des unes ne peut pallier l’affaiblissement des autres ».

Aussi, il n’est absolument pas question de faire des forces spéciales une « quatrième armée », comme cela a pu être un temps suggéré. Cet « épouvantail », estiment les trois parlementaires, « ne saurait servir à éloigner la réforme en cours, ni à l’amoindrir ».

Seuleme, étant donné « qu’elles sont parfaitement adaptées aux formes d’engagement modernes », dixit les sénateurs, les forces spéciales ont connu, au cours de ces dernières années, une  augmentation sensible de leurs engagements et de la durée de ces derniers.

« Si bien que les unités sont en ‘auto-relève’ sur une quinzaine de théâtres et les périodes de ‘surchauffe’ sont fréquentes. Sur des effectifs de 3 000 personnes, plus de 600 personnels sont en permanence employés dans des opérations, ce qui représente un taux d’emploi de l’ordre de 22% des effectifs, voire 40% pour certaines unités », affirment les sénateurs. Voilà déjà une bonne raison pour revoir à la hausse leurs effectifs.

En outre, et « sans exclure l’hypothèse de conflits étatiques dits ‘symétriques' », les rapporteurs estiment que « la probabilité d’occurrence la plus forte pour les années à venir d’atteinte à nos intérêts de sécurité réside dans des adversaires non étatiques engagés avec nous dans des combats asymétriques (AQMI, pirates), des adversaires étatiques refusant une confrontation conventionnelle (Libye, République de Côte d’Ivoire) ou des réseaux aux motivations idéologiques floues, mais aux finances abondantes et de ce fait puissamment militarisés ». Par conséquent, les forces spéciales constituent une « réponse adaptée » à ces menaces.

Seulement, ce renforcement des forces spéciales s’annonce compliqué. Actuellement, et selon le rapport, ces dernières comptent exactement 3.019 hommes, dont 2.774 « combattants » (les autres étant affectés en état-major, sans oublier 400 réservistes), soit 177 personnels de moins par rapport à l’effectif théorique autorisé. Depuis 2008, elles sont en « sous-effectif chronique », note le document.

Aussi, le recrutement de nouveaux opérateurs sera crucial, alors que l’armée de Terre peine à couvrir ses besoins généraux en la matière. En outre, la réduction du format des forces conventionnelles, vivier traditionnel pour les unités spéciales de l’armée de l’Air et de la Marine nationale, n’aide pas non plus. Au passage, le rapport pointe le sous-effectif du CPA 10 (231 personnels alors qu’il devrait en compter 274)…

L’essentiel du renforcement des effectifs des forces spéciales sera le fait de l’armée de Terre, qui fournirait entre 400 et 500 personnels supplémentaires tandis que la contribution de la Marine nationale « (qui avait déjà fait l’effort de créer le commando Kieffer en 2008) devrait se limiter au renforcement du vivier des commandos marine », celle de l’armée de l’Air devant être plus limitée.

« Pour la quasi-totalité des chefs militaires auditionnés, le renforcement des effectifs ne sera pas de l’ordre d’un millier, mais dans le meilleur des cas de 700 opérateurs sur la durée totale de la programmation. Le chiffre de COS + 1 000, contenu dans la programmation, reflète donc davantage une ambition qu’un objectif programmé et financé », estiment les auteurs du rapport.

Or, pour les sénateurs, « ce décalage interpelle » car « il remet en cause la portée du Livre blanc et de la Loi de programmation militaire » et « affaiblit la valeur de la parole politique ». Et d’ajouter : « On peut comprendre la volonté des chefs militaires de ne pas sacrifier la quantité à la qualité, et les difficultés dans lesquelles ils se trouvent de choisir quelles unités conventionnelles supprimer pour renforcer les forces spéciales. Mais une fois la feuille de route tracée, il serait choquant de ne pas la suivre, sauf à remettre en cause la valeur de l’exercice ».

Aussi, les rapporteurs ont avancé une piste : étant donné que « dans un contexte de disette budgétaire, l’Etat ne peut se payer le luxe de dupliquer ses moyens », l’idée serait de puiser dans le Service Action de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure).

« La direction des opérations de la DGSE compte environ un millier d’opérateurs, dont plus de 700 pour le seul SA sur un total de l’ordre de 5.000 agents. Ces forces disposent de leur propre unité aérienne, le groupe aérien mixte 56 (GAM 56), ainsi que de leurs propres centres d’entraînement pour les forces terrestres et de leur propre groupe de nageurs de combat, le commando Quélern. Quasiment tous les membres du service action sont des militaires de carrière », soulignent les sénateurs.

Aussi, estiment-ils, « il ne fait aucun doute pour personne que certaines opérations clandestines sont en réalité des ‘opérations spéciales’ et gagneraient à être effectuées par des forces spéciales ».

« Il ne s’agit en aucune façon de remettre en cause la nécessité pour notre pays de disposer de forces capables de mener des opérations clandestines », plaident les rapporteurs. Mais, ajoutent-ils, « il s’agit de repenser à froid l’action clandestine compte tenu de l’évolution des technologies et de prendre en compte une éventuelle ‘civilianisation’ des effectifs.

Photo : (c) ECPAD

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