Quand le président Kagame cessera-t-il d’instrumentaliser le génocide rwandais?

En 2004, le président Kagame avait accusé la France d’être en partie responsable du génocide rwandais (800.000 tutsis et hutus modérés massacrés), commis 10 ans plus tôt. Idem deux ans plus tard quand le juge français Jean-Louis Bruguière pointa son rôle dans l’attentat contre son prédécesseur, Juvénal Habyarimana, qui fut l’élément déclencheur de la tragédie.

Actuellement, le président rwandais, qui a mis en place un Etat policier, voit son étoile pâlir quelque peu. Le rôle de son pays en République démocratique du Congo a été pointé par un récent rapport des Nations unies et lui-même est accusé d’avoir organisé l’assassinats d’opposants politiques, comme en janvier dernier, en Afrique du Sud. Et il y aurait beaucoup à dire sur son attitude après le génocide de 1994, les forces qu’il contrôlait à l’époque ayant aussi commise de nombreuses exactions, non seulement au Rwanda mais aussi dans des camps de réfugiés situés dans l’ex-Zaïre.

A l’occasion des commémorations du 20e anniversaire de ces massacres, Paul Kagame a répété ses accusations contre la France et ses forces armées dans un entretien accordé à Jeune Afrique. Et cela lui est d’autant plus facile que Paris, jusqu’en 1993 au moins, soutenait le régime de M. Habyarimana contre les menées du FPR (Front patriotique rwandais) qu’il dirigeait depuis l’Ouganda voisin. Ce qui passait par des accords de coopération militaire (signés en 1975).

Ce soutien se manifesta notamment en 1990 avec l’opération Noroît, dont le but, selon le général Maurice Schmitt, alors chef d’état-major des armées (CEMA), était « de protéger les Européens, les installations françaises et de contrôler l’aérodrome afin d’assurer l’évacuation des Français et étrangers qui le demandaient » devant l’avancée du FPR de Paul Kagame, qui n’avait pas la réputation de faire dans la dentelle. « Ces troupes ne devaient en aucun cas se mêler des questions de maintien de l’ordre qui étaient du ressort du Gouvernement rwandais », avait-il ajouté.

Lors de son audition devant les parlementaires de la mission d’information sur le Rwanda, l’amiral Lanxade, alors chef d’état-major du président Mitterrand confia, en 1998, que « le chef de l’Etat avait estimé à ce moment-là qu’il convenait de donner un signal clair de la volonté française de maintenir la stabilité du Rwanda (…) Il considérait que l’agression menée par le FPR était une action déterminée contre une zone francophone et qu’il convenait de s’y opposer sans cependant s’engager directement dans le conflit ». C’est à dire en aidant « le gouvernement rwandais à améliorer les capacités de son armée ». Selon lui, aucun militaire français n’a été impliqué dans des combats.

Une note de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), concernant le Rwanda et évoquée par le quotidien Le Monde (édition du 24 décembre 2006), indique, pour le début de l’année 1993, que « chacune des parties accuse l’autre de violer le cessez-le-feu et de commettre des exactions sur la population. (…) Les deux protagonistes sont responsables de massacres (…) Plusieurs charniers auraient ainsi été découverts, amplifiant de façon dramatique le phénomène des déplacés de guerre ».

Ces massacres prennent fin en août 1993 avec les accords d’Arusha. Les forces françaises se retirent alors du Rwanda et s’efface devant la force des Nations unies, la MINUAR. La France laisse dans le pays une dizaine de coopérants militaires.

Alors que la France est le seul pays à être intervenu au Rwanda à partir de juin 1994 (opération Turquoise) pendant que la communauté internationale était, comme souvent, aux abonnés absents (l’ONU avait réduit ses effectifs de casques bleus 8 jours après le début des massacres) et que son ministre des Affaires étrangères de l’époque, Alain Juppé, fut le premier à parler de génocide, son soutien au régime de M. Habyarimana lui vaut d’être accusée soit d’avoir eu une attitude ambigue au Rwanda, soit d’avoir ignoré les signaux précurseurs voire même d’avoir eu une responsabilité dans le génocide rwandais. Pour rappel, la France était en période de cohabitation, avec François Mitterrand à l’Elysée et Edouard Balladur à Matignon.

Justement, invité à s’exprimer sur les accusations portées contre la France, l’ancien Premier ministre a fermement réagi aux propos du président rwandais (et par ricochet, à ceux qui mettent en cause l’action de l’armée française). Sur les accusations concernant une prétendu rôle de Paris dans la préparation des massacres, M. Balladur a répondu que c’est un « un mensonge, un mensonge intéressé ».

« La vérité, on ne peut pas la dire : on doit la dire! Elle a été dite à plusieurs reprises : la France n’est en rien complice du génocide, au contraire. Elle est de tous les pays du monde le seul qui ait pris l’initiative d’organiser une opération humanitaire pour éviter un massacre généralisé : elle a tout de même permis de sauver quelques dizaines de milliers de vies, ce qui n’est pas grand-chose compte tenu de l’ampleur du génocide », a-t-il poursuivi.

Fallait-il s’interposer entre les Hutus et les Tutsis? Il n’en était pas question pour M. Balladur. « C’était extrêmement dangereux : ça aurait consisté à la faire intervenir dans une guerre civile à 8.000 km de la France, alors que déjà la communauté internationale lui reprochait d’avoir été trop présente aux côtés des Hutus », a-t-il fait valoir, précisant avoir demandé aux militaires français de ne pas intervenir au centre du Rwanda. « Je ne voulais pas que la France et l’armée française sont prises en tenailles dans une opération de guerre civile : on n’aurait pas manqué de nous en faire porter la responsabilité », a-t-il précisé.

Et d’ajouter : « Je ne me sens pas visé, mais je suis résolu à défendre par tous les moyens la réputation et l’honneur de notre armée. Je me suis rendu au Rwanda pendant l’opération Turquoise : j’ai pu voir le rôle des militaires français qui étaient admirables, beaucoup de victimes qui étaient dans des conditions d’atroce dénuement, de misère morale et physique. Je rends hommage à l’armée française et à son rôle. »
Quant aux allégations selon lesquelles les 2.500 militaires engagés dans l’opération Turquoise à partir du 25 juin 1994 auraient fermé les yeux sur des massacres et aidé à l’exfiltration de génocidaires hutus, le général Lafourcade, le chef de cette intervention les a fermement démenties à plusieur reprises dans la presse.

L’opération Turquoise est arrivée « deux mois après le génocide parce que, dans l’ensemble de la communauté internationale, personne n’avait voulu intervenir. La France a eu ce courage-là », a-t-il rappelé sur ondes de RTL, ce 7 avril.

« La France a été accusée d’avoir pris parti pour les Hutus contre les Tutsis. En réalité, il nous a fallu un certain temps pour que la majeure partie de la force acheminée exclusivement par voie aérienne au Zaïre soit engagée au Rwanda. J’ai ainsi dû attendre de rassembler les moyens suffisants pour pouvoir intervenir sur des massacres en cours dans les collines de Bisesero sachant que le FPR, à proximité, affichait son hostilité. On nous a plus tard accusés d’avoir refusé d’intervenir afin de laisser massacrer les Tutsi, ce qui n’a aucun sens », a encore affirmé le général Lafourcade dans un entretien accordé à Armées d’aujourd’hui.

Au sujet des événements de Bisesero, l’action des militaires français a suscité une polémique lancée par Patrick de Saint-Exupéry en mars 2006 dans les colonnes du Figaro, où il évoqua un « comportement pour le moins étrange des troupes français empêtrées dans l’infernale équation : Tutsis = FPR = Ennemi).

Ce qui valut une réponse ferme de l’amiral Marin Gillier, à l’époque capitaine de frégate et présent sur les lieux. « L’accusation faite aux forces spéciales d’avoir volontairement laissé mourir des Tutsis à Bisesero pendant trois jours est infondée et calomnieuses », avait-il dans une tribune publiée trois mois plus tard par le même quotidien. Le récit du futur patron des commandos marine fut confirmé par un autre journaliste, Michel Peyrard, alors envoyé spécial de Paris Match au Rwanda.

Dans sa réponse publiée par le Figaro, l’amiral Gillier expliquait les difficultés de l’opération Turquoise. « Dans les premiers jours de l’intervention, de nombreuses questions se posent. Que se passe-t-il effectivement? Des massacres sont perpétrés, quelle en est l’ampleur? Qui sont les tueurs, qui sont les victimes? Comment différencier Hutus et Tutsis? Quel crédit apporter aux propos qui nous sont tenus sur place? Nous croisons des interlocuteurs angoissés, tandis que d’autres cherchent à orienter notre jugement. Des autorités locales, informateurs, journalistes ou travailleurs humanitaires, nous apportent des informations nombreuses mais contradictoires, sans parler des difficultés linguistiques. L’engagement de Turquoise au Rwanda se fait donc dans un environnement flou, mais selon des orientations politique et un cadre d’ordres précis », avait-il écrit.

Un dernier mot au sujet des ordres donnés aux militaires français à l’époque. D’après Guillaume Ancel, 48 ans, à l’époque capitaine au 68e Régiment d’Artillerie d’Afrique (RAA), ces derniers étaient, dans un premier temps, de stopper l’avancée du FPR. Du mois est-ce qu’il prétend dans un entretien donné à Jeune Afrique, à qui il a affirmé que « l’histoire mythique de l’opération Turquoise qui ne correspond pas à la réalité ».
Mais, explique-t-il, « l’officier en charge des opérations nous a expliqué qu’un accord avait été passé avec le FPR. Désormais nous devions protéger une ‘zone humanitaire sûre’ (ZHS) dont la rébellion de Paul Kagame avait accepté qu’elle échappe provisoirement à son contrôle. C’est à ce moment-là que la nature de notre mission a changé pour devenir humanitaire. Jusque-là, il était clair qu’il s’agissait de combattre le FPR »…

Or, l’amiral Gillier, qui, normalement, devait avoir reçu les mêmes ordres, avait indiqué dans son papier publié par le Figaro, que les militaires de Turquoise étaient « astreints à des règles et de comportements et d’engagement ». (…) Au Rwanda, elles se fond(ai)ent sur trois principes : adopter une attitude de stricte neutralité vis-à-vis des différentes factions, manifester la volonté de la France de faire cesser les massacres et de protéger les populations en usant de la force si nécessaire, affirmer le caractère humanitaire de l’opération, en collaboration avec les ONG ».

En savoir plus :

– Rapport sur la situation des droits de l’homme au Rwanda soumis par M. René Degni-Ségui, Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, en application du paragraphe 20 de la résolution S-3/1 du 25 mai 1994

– Rapport de la Mission d’information sur le Rwanda, Assemblée nationale

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