Le scorpion, le crocodile et le fleuve : 15 ans de relations franco-ivoiriennes

Un scorpion voulait traverser le fleuve. Il demande alors à un crocodile de l’aider mais ce dernier lui répond qu’il voudrait bien mais il craint de se faire piquer. Mais l’insecte arrive à le convaincre en lui promettant qu’il n’en fera rien car celui lui coûterait la vie. Mais au milieu du guet, le scorpion transperce la peau du crocodile en lui disant « je suis désolé, c’est l’Afrique! » Cette histoire illustre et explique le titre du dernier livre de Jean-Christophe Notin, « Le crocodile et le scorpion : La France et la Côte d’Ivoire (1999-2013)« , consacré aux relations franco-ivoiriennes de 1999 à nos jours.

Cet ouvrage commence donc par le coup d’Etat du Général Gueï, qui, commis en décembre 1999, renversa la président Henri Konan-Bédié. Cet évènement, qui prit tout le monde au dépourvu à Paris, sera l’amorce d’une longue crise politico-militaire qui ne prendra fin qu’en avril 2011.

En septembre 2000, le socialiste et ancien opposant à Houphouët-Boigny Laurent Gbagbo est proclamé président de la Côte d’Ivoire, au terme d’une campagne électorale controversée marquée par le concept de « l’ivoirité » et dont avaient été exclus Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, et surtout après une tentative du général Gueï, arrivé second, de se maintenir au pouvoir. Les troubles causés par cette situation font environ 300 tués.

Ce concept d' »ivoirité » sera, deux ans plus tard, l’une des causes de la rébellion du 19 septembre 2002, lancée par des mouvements du nord du pays. Un coup de force que la France n’a pas vu venir dans la mesure où ses moyens de renseignement sont alors prioritairement affectés aux régions balkaniques (on sort d’une guerre au Kosovo), à l’Afghanistan (on vient d’en commencer une autre) et en Irak. Quoi qu’il en soit, Paris déclenche alors l’opération Licorne, afin de protéger les ressortissants français présents en Côte d’Ivoire.

Commence alors un jeu complexe, la France ne prenant pas partie pour l’un ou l’autre camp. Au grand désarroi, d’ailleurs, de Laurent Gbagbo, qui dénonçant le « colonialisme » et la « Françafrique », demanda pourtant l’application des accords de défense liant les deux pays…

Le livre de Jean-Christophe Notin s’attarde sur les manoeuvres du clan Gbagbo pour s’accrocher au pouvoir, quitte à mettre en péril chaque tentative de sortie de crise. Certains officiels français auront manqué quelque peu de discernement à l’égard de l’ancien président ivoirien, qui, par ailleurs, a su garder des liens avec quelques dirigeants du Parti socialiste. Cela vaudra à certains quelques déclarations malheureuses par la suite…

A leur décharge, il faut dire que Laurent Gbagbo passe pour avoir l’art et la manière de rouler ses interlocuteurs dans la farine (d’où son surnom de « boulanger »). A moins qu’il ait été sous l’influence de son entourage. L’affaire du bombardement de Bouaké, où 9 militaires français ont perdu la vie, laisse le supposer. L’auteur revient d’ailleurs avec précision sur cet épisode dramatique et écarte quelques théories fumeuses avancées par certains…

Comme on le sait, Laurent Gbagbo finira par consentir à remettre son mandat en jeu en 2010. Chose qu’il aurait donc dû faire beaucoup plus tôt. Là encore, Jean-Christophe Notin remet les pendules à l’heure : la victoire d’Alassane Ouattara a été officialisée par les Nations unies et ne souffre pas de contestation. Et même si, comme l’avait demandé le clan Gbagbo, des votes qu’il estimait douteux avaient été annulés, cela n’aurait rien changé au résultat final.

A partir de là, un bras de fer s’engage, Laurent Gbagbo refusant de reconnaître sa défaite et faisant comme si de rien n’était (ou presque). Ce qui aboutira à la « bataille d’Abidjan », menée par la force Licorne et l’ONUCI, la mission des Nations unies en Côte d’Ivoire, sur la base de résolutions du Conseil de sécurité.

Un autre mérite de l’ouvrage de Jean-Christophe Notin, qui, par ailleurs, livre beaucoup d’informations inédites ou en rappelle d’autres (comme l’opération Providence, au Libéria), est qu’il revient largement sur le rôle des militaires français, au sang-froid quasi inébranlable, lors de cette affaire. Et le moins que l’on puisse dire est que cela n’a pas fait l’objet d’énormément de publicité… alors que la force Licorne, alors commandée par le général Palasset, est passée près du pire à plusieurs reprises, avec des hélicoptères de l’ALAT revenant à Port Bouët criblés de balles. Et l’on se dit que ce qui sépare le succès de l’échec n’est souvent qu’un coup de chance.

Référence : Le crocodile et le scorpion : La France et la Côte d’Ivoire (1999-2013), Jean-Christophe Notin, Editions du Rocher, 19 euros

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