Divergences de vues sur la situation en Centrafrique, deux mois après le lancement de l’opération Sangaris

Il y a exactement deux mois, le président Hollande annonçait le lancement de l’opération Sangaris, en République centrafricaine, après avoir reçu le feu vert du Conseil de sécurité des Nations unies (résolution 2127). L’un des objectifs était de mettre un terme au cycle de violences qui ensanglantait le pays depuis la prise du pouvoir par la coalition rebelle de la Séléka en désarmant les belligérants. Tâche compliquée pour les 1.600 militaires français envoyés à Bangui, ainsi que pour les troupes africaines de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca), mal équipées et peu préparées à ce type de mission.

Quelques heures avant le vote de la résolution 2127, Bangui était en proie à des affrontements entre les combattants de la désormais ex-Séléka et des miliciens anti-balaka, constitués en groupes d’auto-défense face aux exactions commises par les premiers. Probablement que des partisans de l’ancien président Bozizé, renversé en mars 2013, faisaient partie du lot. Au total, ces combats firent un millier de tués dans les rues de la capitale centrafricaine.

Depuis le déploiement des militaires français, qui ont perdu deux des leurs lors de cette opération, et de ceux de la Misca, Bangui n’a pas connu de massacre d’une telle ampleur. Cependant, la ville n’est pas exempte de « coups de chaud » ponctuels, qualifiés de « cycles de violence sans logique » par le ministère de la Défense, lors d’un récent point presse.

Parmi les points positifs, l’on peut noter le regroupement de combattants de l’ex-Séléka dans deux camps situés à la périphérie de Bangui, le retour d’anciens membres des Forces armées centrafricaines (Faca), la poursuite des opérations de désarmement ou encore les tentatives de réconciliation entre les communautés chrétiennes et musulmanes. Et le président de transition Michel Djotodia, incapable de mettre un terme aux exactions de ceux qui le portèrent au pouvoir, a été poussé vers la sortie. Sur le plan diplomatique, la Misca verra son contingent augmenter pour être porté à 6.000 hommes et une mission militaire de l’Union européenne (EUFOR RCA Bangui) devrait être lancée d’ici la fin du mois, sous réserve de trouver des contributeurs.

En visite à Bangui après de la Force Sangaris, le chef d’état-major des armées (CEMA), l’amiral Edouard Guillaud, a ainsi assuré que la violence avait été en « partie jugulée ». Notamment à Bangui, où la partie est loin d’être simple pour les militaires français et africains, leur mission étant à mi-chemin entre le maintien de l’ordre et l’opération de police (contrôle de foule et/ou chasse aux pillards) et les actions de guerre. Le tout en veillant à ne pas donner le sentiment de prendre parti pour l’un ou l’autre camp.

Toutefois, dans le reste du pays, il est régulièrement signalé des exactions massives commises aussi bien par les ex-Séléka contre les chrétiens que par les miliciens anti-balaka à l’égard des musulmans, certains éléments étant devenus incontrôlables. Le 16 janvier dernier, l’ambassadeur français auprès des Nations unies, Gérard Araud, avait affirmé que la France avait « peut-être sous-estimé la haine et le ressentiment entre communautés » en Centrafrique ». Et d’ajouter : « Nous savions qu’il y avait des violences interreligieuses, mais nous n’imaginions pas une haine aussi profondément ancrée ».

Interrogé par Le Parisien sur le fait de savoir si la France avait « sous-estimé la haine entre les communautés », l’ambassadeur de France en Centrafrique, Charles Malinas, a répondu que non. « On savait que la situation était extrêmement grave, raison pour laquelle nous avons décidé le déploiement d’une force militaire pour empêcher les massacres à grande échelle », a-t-il affirmé au quotidien.

Le général Soriano, le commandant de l’opération Sangaris, a donné une réponse quasi-identique à la même question, cette fois posée par l’Express. « Franchement, non. Nous savions que tous les ingrédients d’une crise complexe étaient réunis ici. Absence d’Etat et de rentrées financières, (…), extrême pauvreté, profusion d’armes en circulation. Par ailleurs, et même si la dimension religieuse du conflit a été beaucoup trop évoquée, de nombreux acteurs avaient repéré sur le terrain les facteurs tendant à attiser les affrontements confessionnels », a-t-il expliqué, en faisait valoir, qu’il « n’y a pas eu de rétorsion massive envers les quartiers musulmans ».

Quant au risque de partition du pays, le général Soriano n’y croit pas. « sur le terrain militaire, on n’observe pas les prémisses d’une telle fracture. Ne serait-ce que par les Séléka n’auraient pas les moyens opérationnels de l’imposer », a-t-il expliqué.

Cela étant, cette appréciation de la situation centrafricaine est loin d’être partagée par Peter Bouckaert, directeur de la division Urgence de l’ONG Human Rights Watch. Et ce dernier s’est montré particulièrement critique à l’égard des opérations en cours. Dans un entretien accordé à l’Express, il a estimé que les « Français n’ont pas de réelle stratégie » en Centrafrique et que Sangaris n’avait rien pu faire pour éviter l’exode massif de populations musulmanes qui étaient implantées à Bangui « depuis des générations » et qu’elle a « persisté à focaliser son action sur la Séléka, force structurée militairement donc plus facile à appréhender ».

« A l’inverse, traquer les anti-balaka revient à puiser de l’eau avec une passoire. Pour autant, si l’on veut vraiment les désarmer sur Bangui, on sait où aller: leurs leaders vivent dans le quartier Boeing, en face de la base Sangaris de l’aéroport M’Poko. Une opération massive sur ce site aurait le mérite d’envoyer un message clair », a encore estimé Peter Bouckaert, qui a déploré que rien n’ait été tenté contre les chefs Séléka qui étaient à Sibut au début du mois. « Pourquoi les avoir alors laissés partir ? Cinq cents de ces types progressent vers le nord, exécutent à tout-va, kidnappent des civils contraints de jouer les porteurs et qui sont abattus si par malheur ils tombent d’épuisement », a-t-il expliqué.

Photo : (c) ECPAD

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