François Fillon assume la suppression de 54.000 postes dans les armées lors de la dernière Loi de programmation militaire

L’examen du projet de Loi de Programmation Militaire 2014-2019 ont donné lieu à de vifs échanges à l’Assemblée nationale, le 26 novembre. Et l’on peut regretter, alors qu’il s’agit-là d’un sujet majeur, que certains se soient laissés aller en tenant des propos peu amènes à l’endroit de leurs collègues, comme le député socialiste Bruno Le Roux, à l’origine d’un incident de séance pour s’en être pris à Philippe Vitel (UMP), vice-président de la commission de la Défense nationale et des Forces armées.

Pour le reste, majorité et opposition ont joué à cet exercice de style, qui, comme la souligné le député UDI Philippe Folliot, « oblige les uns à reprocher aux autres ce que ceux-ci leur reprochaient la veille,vice versa ».

Lors de l’exécution de la LPM 1997-2002, qui marquait la professionnalisation des armées, le gouvernement emmené par Lionel Jospin avait rayé d’un trait de plume  l’équivalent d’une annuité de crédits d’équipements, soit plus de 12 milliards d’euros, en opérant des réductions de programmes, des annulations en cours d’exercice, des « bourrages d’enveloppes » (ndlr, un artifice comptable consistant à faire financer par le budget du ministère de la Défense des dépenses qui avaient été exclues par la LPM) et en faisant supporter les surcoûts des opérations extérieures sur les moyens des forces armées. Et cela, alors même que l’économie française était en croissance.

D’ailleurs, le 28 juillet 1997, lors d’un déplacement à Colmar, Lionel Jospin avait assuré veiller à ce que la défense eût les moyens de remplir ses missions dans de bonnes conditions tout en la mettant à contribution pour équilibrer les comptes publics. Une formule qui n’a pas manqué d’avoir du succès puisqu’on l’entend encore aujourd’hui.

Reprocher aux autres ce que ceux-ci leur reprochaient la veille… Premier ministre de 2007 à 2012 et désormais député de Paris, François Fillon a eu à gérer la LPM 2009-2014, dont la trajectoire financière s’est écartée de près de 5 milliards d’euros par rapport à ce qui avait été initialement prévu. Pour rappel, ce texte devait tirer toutes les conséquences de la professionnalisation des armées, avec la suppression de 54.000 postes, comptait sur des ressources exceptionnelles (3,2 milliards),  mettait en avant le concept de base de défense, réformait en profondeur la carte militaire (80 sites supprimés), etc…

Aussi, M. Fillon a eu sa dose de reproches de la part de l’actuelle majorité. Notamment lors de son intervention visant à défendre une motion de rejet préalable du projet de LPM 2014-2019. Son point de vue ne manque pas d’intérêt dans la mesure où les responsables de l’ancienne majorité n’ont pas donné beaucoup d’explications au sujet des réformes concernant les armés qu’ils ont menées du temps où ils étaient aux manettes. Ce manque a été criant lors de la campagne électorale de 2012.

« En dix ans, les armées ont perdu un quart de leurs effectifs », a ainsi souligné M. Fillon dans l’Hémicycle, au sujet des nouvelles suppressions de postes (23.500 + 10.000) prévues par le projet de LPM. Mais il en assume la responsabilité, après avoir souligné que « notre nation est paradoxalement plus exposée et plus sollicitée qu’elle ne l’était lorsque la guerre froide gelait la plupart des scénarios conflictuels », cela dans un monde « dangereux, incertain, où la mondialisation crée probablement davantage de tensions qu’elle n’en apaise ».

« J’ai, par le passé, milité pour ce resserrement de notre appareil de défense commandé par l’évolution du paysage stratégique et par la professionnalisation. Je n’ai jamais été de ceux qui estimaient que notre outil de défense dut obéir aux exigences de notre politique d’aménagement du territoire. En tant que chef du gouvernement, j’ai assumé une réorganisation drastique des forces », a-t-il expliqué.

Pourquoi alors reprocher au gouvernement ce qu’il a lui même défendu? Tout simplement parce que, a-t-il dit, « nous dépassons le seuil du raisonnable ». Selon M. Fillon, « les sacrifices exigés à la défense renvoient à la politique d’ensemble poursuivie par le gouvernement. Est-il raisonnable de procéder au recrutement de 60 000 enseignants, alors que la Cour des comptes souligne l’inanité de cette approche quantitative, et de débaucher, dans le même temps, 34 000 soldats? ». Et d’ajouter : « Aux termes de la loi de programmation militaire, l’armée de terre sera capable de projeter 66 000 soldats en opérations, soit moins que les recrutements supplémentaires prévus de 2013 à 2017 dans l’éducation nationale. »

« L’armée de terre ne compte plus que 66 000 soldats projetables. Cet effectif est à comparer à celui des 66 000 agents civils du ministère. Il ne s’agit pas seulement d’iniquité dans la répartition des efforts nécessaires, il s’agit aussi d’inefficacité », a encore insisté l’ancien Premier ministre.

Par ailleurs, le député de Paris a relevé que les « 34 000 postes supprimés représentent le tiers des créations d’emplois d’avenir proposés aux jeunes de moins de 25 ans, lesquels constituent pourtant le vivier de recrutement de nos armées ». Or, a-t-il poursuivi, « pour nombre de jeunes, l’armée représente l’occasion d’une deuxième chance, l’acquisition de valeurs dont les circonstances de leur vie les ont privés jusque-là. Beaucoup de soldats sont issus de ce que l’on nomme aujourd’hui la diversité, et trouvent dans les armées un lieu où ils seront enfin jugés, non pas sur leurs origines, mais sur leurs talents et leur courage. On ne peut pas clamer son amour de la République et sa volonté d’intégration, et fermer en même temps cette porte de la réussite à une part importante de la jeunesse ».

Un autre critique formulée par François Fillon porte sur la sincérité de la trajectoire financière du projet de LPM. Pour l’ex-chef du gouvernement, le budget de la Défense est « sanctuarisé dans (l’)esprit du ministre ». En cause, le niveau trop important des recettes exceptionnelles escomptées (6,1 milliards) étant donné que, de par son expérience, il a fait valoir qu’il avait été compliqué d’obtenir celles qui avaient été inscrites dans la précédente LPM. Et puis il a également fait un procès d’intention à l’actuelle majorité en lui prêtant la tentation de piocher dans les crédits militaires pour rétablir les comptes publics.

« Pour atteindre ses objectifs en matière de déficits, et conformément aux engagements pris devant ses partenaires européens, le Gouvernement doit trouver près de 20 milliards d’euros par an durant les prochaines années. À l’évidence, la fiscalité sur les ménages et les entreprises a dépassé toutes les limites de l’acceptable, et le pays est au bord de la fronde. Reste donc la réduction des dépenses publiques, que la gauche craint tant, mais qu’elle est obligée d’assumer, sous peine d’être totalement discréditée en Europe. Où le gouvernement ira-t-il piocher? L’éducation, la sécurité, l’emploi, les dépenses sociales? Non, puisqu’il nous dit que ce sont là des priorités. Reste donc le budget de la défense », a-t-il affirmé.

« Aucun corps de l’État n’accepterait d’être traité de cette manière. Aucun ministre n’aurait d’ailleurs l’idée de s’y risquer. Cet état d’esprit, qui consiste à s’attaquer d’abord aux plus fidèles des serviteurs et à ceux dont la mission, le combat, est au cœur même de la défense », a encore relevé M. Fillon. Reste que lorsqu’il était Premier ministre, les crédits des armées avait été aussi sollicité pour rééquilibrer les comptes publics… En 2011, le ministre de la Défense, qui était alors Gérard Longuet, avait dû se rendre à plusieurs reprises devant les commissions parlementaires ad hoc pour expliquer les encoches faites à son budget, qui avait été pourtant annoncé en hausse de 1,8% quelques semaines plus tôt.

Cela étant, pour M. Fillon,  le projet de LPM 2014-2019 pourrait avoir pour conséquence le déclassement des armées françaises. « Moins d’hommes encore, moins d’équipements encore, mais toujours les mêmes missions. Ne vous y trompez pas : ce qui se profile à l’horizon de cette loi, c’est une armée à la limite de la rupture, où le dévouement des militaires ne pourra éternellement suppléer l’usure des équipements ou l’entraînement lacunaire », a-t-il fait valoir.

« Nos soldats ne manifestent pas, ils ne démolissent aucun portique, ils ne discutent aucun ordre ; mais vous devez savoir que le cœur de ces hommes de devoir est aujourd’hui serré », a encore dit M. Fillon. A ce sujet, il est dommage qu’il n’ait pas abordé les dysfonctionnements dans le paiement des soldes des militaires causés par le système Louvois; alors que les premiers problèmes étaient apparus alors qu’il était encore en fonction…

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