Délicate manoeuvre sur les effectifs de la Marine nationale

Bien évidemment, la Marine nationale sera également concernée par les 23.500 suppressions de postes supplémentaires prévus par le projet de Loi de programmation militaire 2014-2019 ainsi que par le « dépyramidage », c’est à dire la déflation du nombre des officiers, afin de réduire la masse salariale du ministère de la Défense.

Seulement, comme l’armée de l’Air, la Marine nationale emploie des personnels hautement qualifiés répartis dans des spécialités de pointe qui vont du pilotage d’avions de combat à la mise en oeuvre de réacteurs nucléaires, en passant par le lancement de missiles balistiques. Aussi, pour son chef d’état-major (CEMM), l’amiral Bernard Rogel, qui s’est exprimé devant la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des Forces armées, la priorité et de chercher « à préserver » les officiers et officiers mariniers de haut niveau », et « cela devra être pris en compte lorsque les arbitrages seront pris ».

La tension sur les effectifs est l’une des préoccupations de l’amiral Rogel, qui a en outre expliqué que pour atteindre les objectifs en matière de déflation des officiers, il faudra « réussir à jouer sur les deux robinets qui régulent le flux : celui des recrutements et celui des départs ». D’ores et déjà, il a indiqué avoir décidé de « resserrer le recrutement » et compter sur les « mesures d’incitation au départ permettront sans doute d’affiner le haut de la pyramide ».

Difficulté supplémentaire, l’étalement des livraisons de certains équipements, comme les frégates multimissions (FREMM), qui ne demandent qu’un équipage réduit à 100 marins, obligera à garder plus longtemps des bâtiments anciens, plus gourmands en main d’oeuvre et en crédits de Maintien en condition opérationnelle (MCO), oblige à conserver certaines compétences spécifiques à ces navires.

« Pour vous donner un exemple : le calculateur du système de combat central de nos frégates anti-sous-marines – aujourd’hui prévues d’être maintenues jusqu’en 2025 – date des années 70. Songez seulement à ce que représente un ordinateur de l’époque : ce qui tient aujourd’hui dans une micro-puce dans les téléphones que vous avez dans la poche occupe sur certains de nos bateaux la taille d’une armoire normande pleine de fils soudés. A la vitesse des évolutions technologiques, il y a un monde entre ces technologies », a ainsi expliqué l’amiral Bernard Rogel,.

« Ces frégates restent néanmoins efficaces. Mais vous comprendrez que le maintien de compétences pour de tels équipements nécessite des formations très spécifiques qu’on ne trouve plus sur le marché. Ces spécialistes devront être sélectionnés parmi des viviers qui vont se restreindre au fil des déflations d’effectifs », a encore ajouté le CEMM, selon qui « la gestion en micro-flux » des personnels « va s’accroître du fait de la coexistence d’outils de génération très différentes liée à l’étalement des programmes ».

« Il me faudra donc être très prudent sur cette gestion des flux de recrutement et de départ. La sensibilité aux à-coups pourrait s’accroître. Mais nous sommes condamnés à réussir cette manoeuvre, qui n’a rien d’évident », a encore insisté l’amiral Rogel.

D’autres points de la prochaine LPM font aussi l’objet de la « vigilance » du CEMM, comme « l’activité des forces » ou encore « le respect du calendrier des livraisons » des nouveaux matériels.

Pour le premier, l’amiral Rogel s’inquiète de l’évolution des crédits de fonctionnement, qui, pour la Marine nationale, sont « essentiellement dévolus à des dépenses incompressibles : l’affrètement (remorqueur, BSAD), les plastrons au profit de l’entraînement, les munitions, les achats, au profit de l’entretien des navires et de la vie quotidienne des ports ».

Quant au second, « le maintien du spectre de nos missions en dépit de la contrainte financière induit un étalement de certains programmes », a rappelé l’amiral Rogel. Et cela a deux conséquences : le prolongement d’équipements anciens, au risque « d’arrêts brutaux de parcs hors d’âge », les pétroliers ravitailleurs pouvant connaître le même sort que les hélicoptères Super Frelon et les avions Nord 262, et « l’acceptation de réductions dites ‘temporaires’ de capacités ».

« Certains bâtiments ne pourront être remplacés avant l’arrivée des nouveaux bâtiments de surveillance et d’intervention maritime, les BATSIMAR. Certains seront remplacés à minima par des bâtiments civils militarisés pour la circonstance, les ‘bâtiments multi-missions’ ou B2M. Ces remplacements doivent être garantis, faute de quoi nous n’aurons vraiment plus grand-chose pour assurer la souveraineté de notre zone économique outre-mer », a ainsi prévenu le CEMM.

Estimant que le projet de LPM est cohérent avec les conclusions du dernier Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN), l’amiral Rogel a estimé que « son application méritera la plus grande attention dans le respect de son cadencement et dans la garantie de conserver un cap constant. »

« Lorsque l’on navigue par gros temps, on réduit la voilure – nous l’avons fait en adaptant le format – on définit un cap – le projet de LPM le fixe – puis on fait en sorte de barrer, c’est-à-dire de suivre ce cap, de la façon la plus stable possible. Car tout écart de cap ou tout mouvement brusque sur la barre se paye immédiatement par des pertes importantes sur la route suivie ou des dommages irréparables sur le navire. C’est ce qui me paraît essentiel », a-t-il fait valoir.

Par ailleurs, l’amiral Rogel n’a pas caché que les mesures prévues par la LPM risquent de « toucher à ce que nous avons de plus précieux, à savoir le moral des marins ». « Le combat est affaire de volonté, et on n’emmène pas des marins pendant plusieurs mois en mer, loin de leurs proches et dans des conditions parfois spartiates, sans entretenir un moral fort », a-t-il expliqué aux sénateurs.

« Une fois que la loi sera votée, ils mettront toute leur énergie à réussir sa mise en oeuvre, comme ils l’ont fait jusqu’à présent. Ils réussiront car ils ont l’habitude de naviguer dans le gros temps. Mais en contrepartie, il faut être en mesure de leur montrer que les efforts qui leur sont demandés sont réalisés sur la base de données fiables, jusque dans les détails et selon le calendrier prévu », a-t-il prévenu.

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]