La réhabilitation des fusillés « pour l’exemple » de la Grande Guerre fait débat

Alors que l’on s’apprête à entrer dans le centenaire de la Première Guerre Mondiale, la question d’une réhabilitation des soldats, qui, ayant refusé d’aller au combat, furent  fusillés « pour l’exemple », a fait l’objet d’un rapport d’historiens, lequel vient d’être remis à Kader Arif, le ministre délégué aux Anciens combattants.

Ce dernier a estimé qu’il s’agit d’une « étape dans la définition de la meilleure manière d’aller vers une réintégration dans la mémoire collective du destin de ces hommes. » « Je procèderai moi-même à des consultations afin d’y introduire tous les avis sur la question dans les jours et les semaines qui viennent », a-t-il ajouté, en promettant d’aller « vite ».

Ce dossier avait été ouvert en 1998 par Lionel Jospin, alors Premier ministre. A Craonne, il avait en effet affirmé que les mutins devaient « réintégrer aujourd’hui, pleinement, notre mémoire collective nationale ». Cette initiative n’avait pas été du goût de Jacques Chirac, alors président de la République, au point qu’il l’estima « inopportune ».

En 2011, le président Sarkozy avait déclaré, au sujet des Poilus de la Grande Guerre que « tous furent des héros, même ceux qui, après avoir affronté avec un courage inouï, les plus terribles épreuves, refusèrent un jour d’avancer parce qu’ils n’en pouvaient plus. »

Selon le rapport établi sous l’autorité d’Antoine Prost, président du Conseil scientifique de la Mission du centenaire de la guerre 1914-1918, parmi les 740 fusillés pour l’exemple en 4 ans de guerre, 600 à 650 combattants ont désobéi aux ordres ou abandonné leur poste. Ce sont « des soldats comme des milliers d’autres, qui se sont battus comme eux et ont eu un jour un moment de faiblesse ou de ‘ras-le-bol' », explique le document, qui estime qu »‘un large consensus existe dans notre société pour estimer que la plupart n’étaient pas des lâches. »

« Les exécutions devaient exercer un effet dissuasif sur la troupe (…) Elles devaient servir d »exemple’, ce qui ne veut pas dire que les soldats exécutés étaient innocents, mais signifie que leur jugement visait aussi à éviter d’autres désobéissances d’autant que l’exécution se faisait devant la troupe », explique le rapport.

Cela étant, en novembre 2012, le général André, ancien chef du Service historique de l’armée de Terre (SHAT), avait expliqué qu’environ 2/3 des exécutions eurent lieu « au cours des 17 premiers mois de la guerre. » Après l’armistice, une cinquantaine de fusillés furent réhabilités, dont une trentaine par la Cour suprême de justice militaire. Et certains l’ont même été récemment, comme le sous-lieutenant Jean-Julien-Marie Chapelant, alors chef de la 3e section de mitrailleuses du 98ème Régiment d’Infanterie (RI) en 1914, finalement déclaré « Mort pour la France » en 2012.

Le rapport donne plusieurs pistes pour régler cette question. Ainsi, il avance l’idée d’une « déclaration solennelle éventuellement renforcée d’un projet pédagogique », estimant que « déclarer que ces soldats sont, eux aussi, morts pour la France, constitueraient une réhabilitation morale, civique et citoyenne. » Cette solution serait à mi-chemin entre une « réhabilitation générale » et ne rien faire.

Reste qu’une éventuelle réhabilitation ces fusillés pour l’exemple, même si le document évoque un « large consensus », n’est pas du goût de tout le monde. En 1998, l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing en avait résumé les raisons : « S’il y avait eu une révolte généralisée des soldats français, nous aurions sans doute perdu la guerre de 14. Donc, c’est un exemple qui ne pouvait pas être suivi et les autorités de l’époque, civiles et militaires, ont été amenées à prendre des décisions difficiles et, à certains égards, cruelles. »

Dans une lettre adressée à Kader Arif, en juillet dernier, le Comité national d’entente des associations patriotiques et du monde combattant ne dit pas autre chose. « Fusiller un soldat Français, quel qu’en soit le motif, a toujours été une décision extrêmement difficile pour l’autorité qui l’a ordonnée; mais la douleur et les conséquences auraient été dramatiques pour le peuple Français si son Armée avait plié et s’était mutinée devant l’agresseur », peut-on lire dans ce courrier, qui affirme par ailleurs que « satisfaire la volonté d’une minorité d’individus qui tendraient à vouloir considérer tous les morts de la guerre comme morts au combat, c’est-à-dire comme Morts pour la France, serait revenir sur ce sujet douloureux et consisterait à modifier l’histoire, telle qu’elle est, à des fins partisanes. »

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