Les marins américains priés d’éviter le jargon et le charabia

Félin, Serval, Boa, ou encore Scorpion… Pour un militaire français, ces termes ne désignent pas uniquement des animaux mais le Fantassin à Equipements et Liaisons Intégrés, le Système Embarqué de Reconnaissance Vecteur Aérien Léger, la Bulle Opérationnelle Aéro-terrestre et la Synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation, programme qui prévoit le remplacement du VAB par le VBMR et l’AMX-10RC par l’EBRC… Et l’on passe sur d’autres acronymes (PN, PNN, PESO, OPEX, OPINT, MDR, GCP, FAS, Fost, EVASAN, RIMa, etc…) tant la liste paraît interminable.

Et encore, il n’est pas encore question de l’argot militaire, aussi riche qu’il peut être parfois fleuri, quand l’on parle de sous-bite, de lieute, de grailler, de psychoter, de cabot, d’asmater, de bulles, de bastos, de rasquette, de crapahuter dans la verte, de colon, d’Hernu Cross, de serpatte, de paquo, de biffin, de juteu, etc… De quoi réécrire la fable du Petit chaperon rouge. « J’ai l’honneur de vous rendre compte de l’existence d’une jeune PMF rurale qui a reçu en dotation une parka rouge. A l’issue, on l’appelait PCR (Petit Chaperon Rouge). Le jour J, son supérieur parental lui fit percevoir une RCIR, avec le pain de combat qui va bien » (*)

Bref, pour un pékin, pardon, un civil, peu au fait de la chose militaire, tout cela peut paraître bien hérmétique. Une seconde langue en somme. Et ce qui vaut pour les forces français l’est aussi pour d’autres armées. Comme l’US Navy, par exemple. Au point que le contre-amiral John Kirby, le patron de la communication de la marine américaine, vient de diffuser une note invitant les marins à éviter le charabia et de limiter l’usage des acronymes, des adjectifs et des adverbes.

« L’amiral Jim Stavridis a dit que tous les officiers devraient apprendre une seconde langue. Je pense qu’il a raison et cette seconde langue devrait être l’anglais », a-t-il écrit.  Non sans humour, il a donné plusieurs exemples qui ne manquent pas de sel (normal pour un mataf…). « Nous avons affirmé que nous répondions au besoin opérationnel d’une présence de 1,0 porte-avions dans la CENTCOM AOR » pour dire que l’US Navy avait décidé de réduire le nombre de porte-avions dans la zone d’opérations de l’US Centcom, le commandement militaire américain pour le Moyen Orient et l’Asie centrale.

« Une fois, j’ai entendu dire quelqu’un qu’il était inquiet ‘d’une provocation cinétique’ dans la péninsule coréenne. Je suis sûr qu’il devait craindre une attaque », a ajouté le contre-amiral Kirby. « Le monde n’est pas un lieu dangereux. C’est un environnement international dynamique et complexe » pour un militaire américain, s’est-il encore moqué. « Pourquoi ne pouvons-nous pas parler de problèmes? Quand ce mot est-il devenu impropre? Tout le monde a des problèmes (…) mais nous, militaires, ne faisons face qu’à des défis », a-t-il ironisé.

Aussi, pour le contre-amiral Kirby, qui se met aussi dans le lot, ce phénomène s’explique par le fait qu’il est « plus facile de rendre les choses plus compliquées que d’être clair et concis. » Et d’ajouter : « Nous ne pouvons plus nous permettre de parler pour ne rien dire. Chaque mot doit compter. Chaque mot doit travailler aussi dur que nous le faisons. Avec des ressources en déclin et l’écart grandissant entre l’armée et le peuple américain, nous devons au moins essayer de communiquer mieux et plus clairement », a-t-il estimé.

(*) Texte humoristique que l’on peut lire en intégralité ici.

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