Turquie : L’ancien chef d’état-major des armées condamné à la prison à vie

Tout a commencé en juin 2007, avec la découverte fortuite d’armes et de munitions dans un maison inoccupée d’Istanbul et appartenant à un officier de l’armée turque en retraire.  De fil en aiguille, les enquêteurs ont mis au jour un complot d’essence kémaliste visant à s’en prendre à l’AKP, le parti islamiste au pouvoir depuis 2002. C’est ainsi que l’affaire du réseau « Ergenekon », du nom d’une vallée mythique d’Asie centrale d’où viendrait, dit la légende, le peuple turc, est née.

Au cours de l’enquête, plusieurs centaines de personnes, dont des généraux, des responsables politiques, des universitaires et des journalistes, ont été arrêtées. L’existence d’un complot contre l’AKP ne constitue pas une surprise étant donné que l’armée turque est une habituée du genre, avec, à son actif, 4 coups d’Etat commis pour défendre et restaurer les valeurs du kémalisme, dont elle est un bastion.

Quant au réseau Ergenekon en lui-même, certains ont avancé qu’il s’agirait des restes, voire d’une transformation, du Gladio turc, une organisation clandestine par l’Otan et qui avait des liens avec le mouvement ultranationaliste des « Loups gris », dont le nom fait référence à la mythologie locale.

Par ailleurs, le plan Balyoz, qui faisait partie du complot présumé et dont les auteurs ont déjà été condamnés à des peines d’une extrême sévérité, comptait mettre en oeuvre une stratégie dite de tension avec la planification de plusieurs attentats afin de démontrer l’incapacité de l’AKP à gérer une situation de crise. Il aurait même été prévu de faire abattre un avion de chasse de l’armée turque au-dessus de la mer Egée et d’en faire porter le chapeau à la Grèce.

Seulement, pour l’opposition turque, cette affaire servirait surtout de prétexte à l’AKP pour régler ses comptes avec le camp laïc et à purger les rangs de l’armée. Et cela d’autant plus que la justice du pays a fait preuve d’une certaine opacité et que des doutes subistent sur la participation de nombreuses personnalités à ce complot présumé…

Quoi qu’il en soit, 275 personnes se sont retrouvées sur le banc des accusés pour répondre de leur appartenance à une organisation terroriste, d’appel au soulèvement contre le gouvernement et l’organisation d’attentats et d’attaques armées.

Il était également reproché à certains d’entre eux d’être à l’origine de plusieurs attentats ainsi que du meurtre d’un juge, en 2006, et d’avoir fomenté l’assassinat de l’écrivain et prix Nobel Orhan Pamuk et celui du Premier ministre en exercice, Recep Erdogan. Ce que les prévenus ont nié.

Cela étant, le tribunal de Silivri, ville située à une cinquantaine de kilomètres d’Istanbul, a rendu son verdict, le 5 août. Et le moins que l’on puisse dire est que les juges ont eu la main lourde. Ainsi, le général Ilker Basbug, ancien chef d’état-major des armées turques, a été condamnée à la réclusion à perpétuité pour « tentative de renversement de l’ordre constitutionnel par la force. » Ce dernier a commenté la sentence en affirmant « être en accord avec sa conscience » et prédit que « le peuple aura le dernier mot. »

D’autres officiers ont été condamné à la même peine. Comme les généraux Sener Eruygur et Hürsit Tolon, respectivement anciens commandants de la gendarmerie et de la Première armée. Ou encore comme le journaliste Tuncay Özkan et le chef du Parti des travailleurs, Dogu Perinçek et 11 autres personnes. Elu du parti CHP et employé du journal de gauche Cumhuriyet, Mustafa Balbay devra faire 35 ans de prison. Seulement 21 prévenus ont été acquittés.

Les sentences ont été accueillies par un tollé de l’assistance, qui avait été pourtant limitée aux avocats, aux journalistes et aux parlementaires. « Maudite soit la dictature de l’AKP », ont scandé une grosse partie d’entre eux.

« C’est une décision politique », a estimé l’éditeur norvégien William Nygaard, membre de l’association Pen International. « Les peines prononcées montrent que la Turquie ne respecte pas les droits de l’homme », a-t-il ajouté. A l’extérieur du tribunal, plusieurs milliers de manifestants ont affronté les forces de police alors que les autorités locales avaient interdit tout rassemblement. Quant au gouvernement turc, il s’est refusé à faire tout commentaire. « Nous respectons la décision de justice », a déclaré son porte-parole, Bülent Arinç.

La sociologue Gülçin Lelandais, spécialiste des mouvements transnationaux et de la Turquie, a sans doute résumé le mieux le sentiment que certains peuvent avoir à Ankara. « Le réseau Ergenekon existe vraiment, mais il y a eu des dérapages dans cette affaire pour éliminer des supposés opposants de l’AKP », a-t-elle expliqué au quotidien Le Monde.

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