Défense européenne : « Les Français n’ont aucune envie qu’on les aide vraiment au Mali »

Lors du débat sur la prolongation de l’opération Serval, en avril dernier, à l’Assemblée nationale, le député (UMP) Pierre Lellouche, avait estimé que l’intervention française au Mali signait le « constat de décès de la belle idée de défense européenne ». Il aurait pu tout aussi l’être avant, c’est à dire lors de l’affaire libyenne.

Certains ont pourtant pensé que l’opération Serval, lancée le 11 janvier par la France au Mali, aurait été l’occasion rêvée pour engager un groupement tactique de l’Union européenne (Battlegroup) étant donné que la plupart des éléments étaient réunis pour cela (cadre juridique, demande légitime de Bamako, consensus européen, etc…). Et pourtant, il n’y a pas eu une mission de type « Eufor Mali ». Simplement une mission de formation de l’armée malienne (EUTM Mali), dont la France, nation cadre, fournit l’essentiel des effectifs pour le moment.

Les raisons pouvant expliquer cette inertie européenne ont été données par Jean-Louis Falconi, l’ambassadeur représentant de la France auprès du Comité politique et de sécurité de l’Union européenne.

« Pour déclencher une mission comme Serval dans un cadre européen, l’Union européenne rencontrerait plusieurs difficultés. D’abord, il y a une question de disponibilité des forces et la volonté de les engager. Le premier problème, dans l’Union européenne, c’est que les Européens ont de moins en moins de capacité de défense », avait-il avancé en février dernier.

A la question de savoir si le Mali était un échec pour la défense européenne, M. Falconi avait relativé. « L’Union européenne n’est pas plus à blâmer que quiconque : même quand un gouvernement national a toutes les raisons de considérer qu’il y a un risque et qu’il faut prévenir un conflit, les décisions politiques d’agir, qui peuvent être coûteuses, se prennent en général au pied du mur. Pour l’Union européenne, c’est la même chose multipliée par vingt-sept. Ce qui est à blâmer, c’est le réflexe naturel et politique, devant des moyens limités, d’hésiter à faire des choses », avait-il affirmé.

« S’agissant du Mali, si votre question est de savoir si l’opération Serval, déclenchée par la France en une demi-journée, consultation du Parlement comprise, aurait pu être lancée par l’Union européenne avec participation et déploiement sur le terrain des États membres, la réponse est non », avait-il insisté lors d’une audition devant la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale.

Seulement, les histoires de procédures n’expliquent pas à elles seules la raison pour laquelle l’Union européenne n’a pu engager un groupement tactique au Mali. Il y a aussi et surtout les règles d’engagement ou des restrictions d’emploi (caveat) différentes entre chaque Etats membres. Ce n’est cependant pas propre à l’UE. Leur disparité a également été source de problèmes au sein de la Force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF), déployée en Afghanistan sous l’autorité de l’Otan, comme elle est d’ailleurs au sein de toute coalition internationale.

Mais, dans le fond, la France doit-elle regretter d’avoir été quasiment seule en première ligne au Mali? La réponse est sans doute dans le dernier Bilan Géostratégie publié chaque année par le quotidien Le Monde, l’on peut lire cette confidence faite en janvier dernier par un responsable politique allemand.

« En fait, les Français n’ont aucune envie qu’on les aide vraiment au Mali. Si nous envoyions des soldats se battre là-bas, que se passerait-il? Au bout de quelques jours, le Bundestag enverrait un représentant vérifier que chaque soldat dispose bien d’une connexion Internet pour appeler sa famille. Puis rapidement se poserait la question de l’âge des soldats maliens qu’on encadrerait. Est-on sûr qu’aucun n’est mineur? Peut-on le prouver? Franchement, les Français ne se posent pas ce genre de questions quand ils envoient les ‘marsouins’ et c’est bien ainsi », a-t-il expliqué. (*)

Le fait est, au vu de l’intensité des combats au Mali, l’on peut se dire qu’il valait effectivement avoir 2.000 soldats tchadiens à ses côtés que des militaires allemands bridés par leurs règles d’engagement.

Ces dernières sont « ne sont pas les mêmes » entre la France et l’Allemagne, reconnaissait un rapport parlementaire [.pdf] rédigé par le député Georges Mothron en novembre 2011. « Ces divergences, nombreuses, empêchent d’envisager un déploiement opérationnel immédiat plein et entier de la BFA (ndlr, Brigade Franco-Allemande) », avait-il ajouté.

« Les deux pays partenaires n’ont pas toujours la même interprétation des traités internationaux auxquels ils sont liés. Par exemple les troupes allemandes ne peuvent pas utiliser de gaz lacrymogènes, y compris dans le cadre d’une opération de maintien de l’ordre. Les règles de tir ne sont pas les mêmes (…). Ainsi les règles d’ouverture du feu pour un soldat assurant la sécurité d’une garnison diffèrent : le droit allemand permet d’utiliser son arme en cas d’atteinte à un bien quand le droit français limite cette possibilité à la légitime défense », avait-il expliqué.

« Ces différences expliquent qu’il n’a pas été possible de définir un cadre d’ordre commun. La BFA a toutefois pour mission de rapprocher les doctrines et de faciliter l’intégration croisée. La question des règles d’engagement et du caractère opérationnel des forces européennes mérite en fait une réflexion à l’échelle de l’Union », avait encore expliqué le député.

« Ces caveats promulgués par les nations constituent donc un frein politique à la liberté d’action et à l’efficacité des moyens, ils battent en brèche le principe de multinationalité dans son acception de mutualisation et de solidarité. En effet, ils peuvent remettre en cause la cohésion interne, jusqu’à faire apparaître des divisions profondes au sein de la coalition », écrivait [.pdf], en 2010, le capitaine de frégate Romuald Bomont, alors stagiaire à l’Ecole de Guerre.

Pour illustrer cet état de fait, le général David Richards, alors commandant de l’ISAF en 2006, avait utilisé la formule suivante : « On ne peut pas avoir d’un côté des soldats qui se battent et meurent, et de l’autre des troupes qui distribuent des sucettes à Kaboul. »

(*) Bilan Géostratégie 2013, Le Monde, page 86

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