Un hommage aux légionnaires
Dans son « Dictionnaire amoureux de la France » (Plon, 2008) l’écrivain Denis Tillinac a sans doute écrit le plus bel hommage d’écrivain que l’on pouvait rendre aux légionnaires. Et il est difficile de faire aussi bien pour exprimer ce que la Légion étrangère évoque à chacun d’entre nous. En ce 150e anniversaire de la bataille de Camerone, l’on ne pouvait pas faire autrement que de le publier ici. Le voici :
« Je ne suis pas très militariste et j’ai satisfait mes obligations militaires au grade de deuxième classe, avec une condamnation de deux mois de prison, assortis d’un sursis. C’est dire que je ne suis pas taillé dans un bois qu’on peut habiller d’un uniforme. Avec quoi l’habiller? Je me le suis demandé lorsque vint l’échéance de la « quille ». Ecrire est une raison d’être, pas une raison sociale. Rien ne me paraissait plus enviable que la condition de moine : le foisonnement anarchique des désirs sublimé dans une ascèse qui ritualise chaque heure du jour et de la nuit. Je trouvais le temps long à l’époque. Malheureusement, un attrait invicible pour le cotillon m’interdisait la bure, j’étais amoureux en permanence, ce qui n’est pas non plus un métier. Restait l’autre vocation : devenir Légionnaire.
Je m’étais lié avec quelques « bérets verts qui avaient combattu en Indochine et en Algérie et revenaient d’Afrique où on les avait parachutés pour Dieu sait quelle cause politique, peut-être inavouable. Un Hongrois, un Serbe, un Chilien. Leurs biceps étaient tatoués, ils ouvraient les canettes avec leurs dents, riaient comme des gosses pour un rien; ils sentaient bon le sable chaud de la chanson de Piaf. Renseignement pris, l’engagement était pour cinq ans. J’ai renoncé, la mort dans l’âme, et il m’arrive de le regretter : la Légion me fascine.
Dès l’enfance, j’ai idéalisé le képi blanc, c’était le seul qui pût m’inciter à regarder un défilé militaire du 14 juillet à la télévision. Sidéré par la légende – Alma, Sébastopol, Solferino, Camerone, Tonkin, Salonique, Bir-Hakeim, El-Alamein, Diên Biên Phu, mystère des origines, réputation de détachement face à la mort – mon imagination silhouettait le Légionnaire en un moine soldat qui aurait perdu sa foi en Dieu et sa patrie. Il risquait sa peau en barouds d’honneur, pour le panache, sans autre espoir que de mourir, comme le prescrit Vigny dans son poème. Leur musique (le « boudin ») me donnait des frissons; j’avais acheté le disque, je l’écoutais toute la journée. J’aimais croiser un képi blanc, je tâchais d’imaginer son passé de caïd, ou pis encore. Sans doute s’était-il engagé dans la Légion en manière de rédemption après avoir tué un homme ou plusieurs. Ou enduré une débâcle amoureuse. Que cet apatride se soit voué à un drapeau, le tricolore, me paraissait le comble du romantisme.
Cette fascination demeure. J’aime me balader à Aubagne ou à Calvi, heureux de voir des képis blancs sur des nuques bien rasées. J’en ai croisé en Guyane où ils protégeaient Kourou tout en construisant des routes et en s’improvisant maîtres d’école. Je les ai vus à l’oeuvre en Afrique et ailleurs; partout ils sont respectés. Ils montent au feu avec le même flegme impavide qu’ils affichent en tapant un carton au mess. Les officiers américains ou anglais en conviennent unanimement : au sol, un Légionnaire est le meilleur guerrier du monde. Le plus discipliné, le plus intrépide. C’était déjà vrai quand Louis-Philippe créa la Légion étrangère, ou du moins après qu’il eut réformée.
Lorsque la tempête de 1999 a déraciné tant d’arbres autour de mon village, les autorités ont envoyé des Légionnaires aux fins de dégager les chemins forestiers et les ligne électriques. Ils ont abattu en quinze jours une besogne qui, entreprise par des fonctionnaires, aurait pris des mois. Et, s’ils avaient campé quinze jours de plus, ils auraient repeuplé la contrée car les filles, aujourd’hui autant que jadis, ont du mal à leur résister. Comme moi elles sont captives d’une légende qui exotise notre mythologie guerrière, et la poétise aussi. Sait-on du reste que de nombreux Légionnaires ont écrit des poèmes? J’ai lu un recueil; on dirait que les auteurs renvoient à Edith Piaf, en guise d’hommage, la sentimentalité poignante de la chanson. C’est de la belle poésie qui vise le coeur et atteint sa cible. On devrait le faire étudier en Sorbonne, ça inciterait peut-être les chimériques en panne d’idéal à intégrer la Légion comme l’on fait en leur temps Cendrars, Koestler, Jünger ou Nougaro.