Le franc-parler du nouveau patron de la DGSE au sujet de la situation en Afghanistan

Récemment nommé à la tête de la Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE), Bernard Bajolet, qui vient de quitter son poste d’ambassadeur de France à Kaboul pour occuper ses nouvelles fonctions, a rangé au vestiaire le langage diplomatique pour évoquer la situation en Afghanistan, lors de son discours prononcé le 23 avril dernier au moment de son départ. Et nul doutes que les officiels qui y étaient conviés ont dû tousser…

« Je n’arrive toujours pas à comprendre comment nous, la communauté internationale et le gouvernement afghan, avons réussi à arriver à une situation dans laquelle tout vient en même temps en 2014 – élections, nouveau président, transitions économique et transition militaire – alors que les négociations en vue d’un processus de paix n’ont pas vraiment commencé « , a ainsi affirmé M. Bajolet au début de son allocution.

Le fait est, l’année 2014 risque d’être très délicate pour l’Afghanistan, d’autant plus que prendront fin la mission de la Force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF), déployée dans le pays sous le mandat de l’Otan, ainsi que la manne économique que cette coalition pouvait représenter pour l’économie locale. Les forces afghanes seront alors seules responsables de la sécurité sur l’ensemble de leur territoire.

Si l’ISAF estime que ces dernières font des progrès et qu’elles sauront faire face à leurs responsabilités, Bernard Bajolet pense quant à lui que les hauts dirigeants afghans devraient s’approprier de manière visible et évidente leurs forces armées. Ce qui serait une preuve, sans doute, de leur confiance en elles…

Quant à l’intervention militaire en Afghanistan, lancée en 2001, le nouveau patron de la DGSE en a critiqué la pertinence. « Si nous regardons les onze dernières années, nous constatoons que notre principam objectif – éradiquer al-Qaïda – n’a pas complétement abouti ». Et si l’organisation terroriste a été affaiblie, « c’est sans doute moins par notre présence en Afghanistan que grâce aux pertes infligées de l’autre côté de la frontière notamment avec l’élimination de Ben Laden », c’est à dire au Pakistan.

Cela étant, s’il n’y avait pas eu d’intervention militaire pour faire tomber le régime taleb à l’époque, les opérations menées de l’autre côté de la Ligne Durand n’auraient sans doute pas été aussi simples.

Quoi qu’il en soit, Bernard Bajolet a pointé deux échecs majeurs : la production d’opium et la corruption. Pour la première, rappelant que l’Afghanistan est le plus grand fournisseur mondial d’héroïne, M. Bajolet a déclaré que la drogue a causé « plus de victimes que le terrorisme » en Russie, en Europe et dans les Balkans.

« Il devient de plus en plus compliqué de justifier nos sacrifices financiers à l’opinion publique et à nos Parlements si l’Afghanistan continue de détenir un record dans ce domaine précis », a-t-il avancé. Et d’estimer qu' »il est regrettable que la communauté internationale n’ait pas fait de la lutte contre les narcotrafiquants une priorité claire ces onze dernières années », allant même jusqu’à parler de ligne politique « flottante » en la matière.

Quant à la corruption, elle est, selon M. Bajolet, « tout aussi désastreuse que le manque de sécurité » en Afghanistan. Elle « est le résultat de plusieurs facteurs, dont le manque de confiance d’une partie de l’élite afghane en son propre pays », a-t-il ajouté, précisant qu’elle est aussi un frein à l’investissement étranger. Et donc au développement économique.

Enfin, l’ancien ambassadeur de France à Kaboul a mis les pieds dans le plat au sujet de la souveraineté afghane, mot à la mode en ce moment pour justifier les progrès accomplis par Kaboul. Le président afghan, Hamid Karzaï, ne cesse d’user de cette expression dans le bras de fer qu’il tente d’imposer aux forces de l’Otan.

« Nous devons être lucides : un pays qui dépend presque entièrement de la communauté internationale pour les salaires de ses soldats et de ses policiers, pour la plupart de ses investissements et en partie pour ses dépenses civiles actuelles, ne peut être vraiment indépendant », a affirmé M. Bajolet. Aussi, selon lui, l’Afghanistan doit augmenter ses recettes douanières, en partie détournées à cause de la corruption et moderniser son système fiscal pour pouvoir se dire effectivement souverain.

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