Selon le Secrétaire général pour l’administration, le naufrage de Louvois est dû à une faute « collective »

Le secrétaire général pour l’administration, Jean-Paul Bodin, a dû certainement passer des moments autrement plus agréables que celui passé à s’expliquer sur les ratés du Logiciel à Vocation Unique Interarmées de la Solde (LOUVOIS) devant les députés de la commission de la Défense nationale et des Forces armées, le 10 avril dernier.

Le raccordement de ce programme au système de gestion des ressources humaines (SIRH) de l’armée de Terre, en octobre 2011, a provoqué des dizaines de milliers d’incidents concernant le paiement des soldes, plongeant de nombreuses familles de militaires dans d’énormes difficultés financières, au point que le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a été contraint d’adopter un plan d’urgence afin de remédier à ce que l’on peut appeler un naufrage.

Comme l’a rappelé Jean-Paul Bodin dans son exposé préliminaire, l’idée de rapprocher les fonctions « Soldes » et « Ressources Humaines » n’est pas neuve puisqu’elle trouve son origine dans projet lancé en 1996, date à laquelle il avait été décidé que « le commissariat de l’armée de terre pilotera l’élaboration d’un logiciel de calcul de la solde commun aux trois armées et à la gendarmerie, avec extension ultérieure à la délégation générale pour l’armement. »

Après « après 20 millions d’euros de frais identifiés », un premier projet conduit entre 1999 et 2003 par deux sociétés privées est abandonné sur les recommandations de la Cour des comptes et du Contrôle général des armées (CGA). Pour faire court, c’est en 2007 que les sociétés Steria, Eurogroup et MC2I sont désignées afin de « déployer, à partir (d’un) calculateur développé au sein de l’armée de l’air, un système allant chercher les données dans les systèmes d’information des différentes armées pour les transférer au calculateur et aboutir à l’édition d’un bulletin de solde et des documents comptables indispensables pour régler les soldes et suivre leur paiement. »

Seulement, en 2010, raconte Jean-Paul Bodin, qui avait présidé une réunion en mai de cette année-là pour revoir la gouvernance du projet, un audit de la Direction générale des systèmes d’information et de communication (DGSIC), souligne que « Louvois se révèle peu robuste, difficilement maintenable et exploitable », en raison de « la complexité du domaine et aux choix techniques au niveau de sa mise en œuvre dans son environnement fonctionnel. » Et de donner 40 recommandations pour qu’il soit amélioré. D’après le SGA, « des consignes sont données pour qu’elles soient appliquées. »

Au début de l’année 2011, Jean-Bodin explique que la création du service du commissariat des armées, prévue pour l’année suivante, ainsi que la fermeture des centres techniques et administratifs du commissariat de l’armée de terre (CTAC), allaient poser un problème de calendrier pour le déploiement de Louvois, de même que le regroupement au sein des bases de défense (GBdD) des « cellules de proximité » de gestion des ressources humaines, jusqu’alors présentes au sein des unités opérationnelles.

Pour autant, le 4 mars 2011, le SIRH du Service de Santé des Armées (SSA) a été raccordé à Louvois, « après une période de paye en double assez longue et une validation de cette ‘bascule’ par la direction centrale de ce service et l’état-major des armées (EMA). » Seulement, « des difficultés de paiement d’indemnités liées à des spécificités de ce service, notamment des indemnités de garde hospitalière » ont été constatées par la suite. « Le volume des dossiers était important et la réglementation n’était pas strictement respectée », a admis M. Bodin.

Cela étant, ces soucis n’ont pas empêché de faire raccorder les SIRH de l’armée de Terre et de la Marine nationale à Louvois… « Toutes les décisions de ‘bascule’ ont été collectives, présentées par l’ensemble du ministère au ministre, après plusieurs mois de paye en double et après que l’accord des uns et des autres ait été recueilli », a fait valoir le SGA.

Bilan des courses : le coût des difficultés rencontrées, depuis 2010 et avant l’entrée en vigueur du plan d’urgence lancé par M. Le Drian, a atteint environ 40 millions d’euros. « Ces dépenses sont prises en charge sur le budget opérationnel de programme (BOP) ‘systèmes d’information, d’administration et de gestion’ au sein du programme 212, géré par le SGA. Ce BOP rencontre de grosses difficultés financières actuellement », a fait valoir M. Bodin, qui a indiqué ne pas savoir, au sujet de la responsabilité des prestataires extérieurs, si « les marchés précédents comportaient des clauses de pénalité et si elles ont été mises en œuvre. »

Car ce qui a intéressé les membre de la commission de la Defense nationale, c’est de déterminer les responsabilités des acteurs de cette affaire. Pour Jean-Paul Bodin, elles sont « collectives » et « touchent autant les services locaux, qui doivent renseigner le système d’information RH, que le sommet de la hiérarchie ». Ce qui est inacceptable pour le député Philippe Folliot.

« Si ce problème s’était produit dans d’autres administrations, nous aurions eu des réactions extrêmement violentes. Cette situation est scandaleuse, car plusieurs personnes nous avaient alertés du danger et on ne l’a pourtant pas évité! Votre absence de réponse à la question des responsabilités est tout aussi inacceptable! », s’est-il emporté à l’adresse du SGA. « Il est essentiel que les responsabilités soient établies. S’il y avait eu de tels dysfonctionnements dans la manœuvre des forces, de lourdes sanctions auraient été immédiatement prises. Par ailleurs, certaines familles sont dans des situations particulièrement difficiles, ce que l’on ne peut accepter », a-t-il ajouté.

« Le système d’information n’a pas été complètement renseigné au plan local. Par ailleurs, le calculateur a mal fonctionné, ce qui engage la responsabilité de ceux qui l’ont conçu et mis en place. Mais il y a aussi une responsabilité dans la conduite des réformes, au niveau des états-majors et de l’administration centrale. Nous sommes donc tous concernés. J’assume ma part de responsabilité, ayant moi-même présidé, en tant que directeur-adjoint de cabinet, plusieurs réunions sur ce dossier, au cours desquelles avaient été notamment données des instructions très précises de cadencement de la réforme et prise la décision de retarder de deux ans la fermeture des CTAC », s’est défendu M. Bodin.

Quoi qu’il en soit, il apparaît désormais très compliqué de faire machine arrière. « On ne peut dire à ce stade s’il faut abandonner le système Louvois », a indiqué le SGA. « Nous nous sommes donné encore quelques semaines pour prendre une décision sur ce point », sachant qu’il n’est pas possible d’avoir un nouveau système avant 2 ou 3 ans et que cela « aurait de lourdes conséquences en termes financiers et d’organisation. » Aussi, a-t-il ajouté, « il faut donc par tous les moyens essayer de corriger le système actuel », ce que la « DGSIC pense possible. »

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