Mali : Les défis de l’après Serval

Comment gagner la paix au Mali? Telle est la question que posent les sénateurs Gérard Larcher et Jean-Pierre Chevènement dans un copieux rapport qu’ils viennent de remettre au sujet de l’opération Serval.

L’intervention militaire française est, pour les rapporteurs, une « remarquable réussite », et cela, malgré les innombrables difficultés, à commencer par les distances à parcourir entre chaque objectif – il y a par exemple, 1.800 kilomètres entre Bamko et Tessalit, « soit la distance de Grenade à Dunkerque » – ou encore la détermination des jihadistes installés au Nord-Mali.

Les forces engagées dans l’opération Serval ont donc su frapper vite et fort, avec « une agilité remarquable », qualité que « peu d’armées possèdent, y compris dans le monde occidental. » Le rapport souligne par ailleurs l’importance du dispositif d’alerte Guépard et des points d’appui de l’armée française en Afrique, lesquels ont permis de réagir avec promptitude, seulement 5 heures après la décision du président Hollande d’intervenir militairement au Mali.

« Outre leur remarquable agilité dans ce territoire vaste et hostile, avec des distances mettant à l’épreuve toute logistique, Serval a montré la qualité des forces françaises, qui ont remarquablement conduit l’opération », note le rapport.

Déplorant les faiblesses de la politique européenne de défense dans cette affaire, les deux sénateurs soulignent par ailleurs que les Etats-Unis ont été le principal soutien de la France au Mali, que ce soit sur les plans financier, politique et militaire (grâce à l’apport des avions de transport et des capacités de renseignement et de ravitaillement en vol).

Quoi qu’il en soit, le bilan de l’opération Serval, auquel il faut associer le contingent tchadien qui s’est notamment illustré lors des combats menés dans l’Adrar des Ifoghas, est éloquent : entre 400 et 500 jihadistes neutralisés, près de 55 tonnes d’armes et de munitions saisies et le sanctuaire bâti pendant 10 ans par AQMI dans cette région atteint.

Prochainement, les militaires français passeront la main à leurs homologues africains de la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA), sur laquelle sera basée une opération de stabilisation des Nations unies (MINUSMA). Les effectifs du contingent français vont progressivement diminuer, pour atteindre 1.000 hommes d’ici la fin de l’année. Ces derniers armeront une « force parallèle », c’est à dire une sorte de force de réaction rapide en cas de résurgence des jihadistes au Nord-Mali.

Reste maintenant le plus difficile à faire, c’est à dire gagner la paix. Car plusieurs risques pèsent encore sur l’avenir du Mali, pays aux multiples fractures. Le premier est l’enlisement du processus politique malien, ce qui serait, note le rapport, un « scénario catastrophe ». « Il faut aller aux élections, au moins présidentielles, dans les meilleures conditions possibles, d’ici fin juillet, quitte à ‘découpler’ les législatives », estiment les sénateurs dans leurs recommandations.

Seulement, certains pensent que l’organisation d’élections dans un délai aussi courts n’est pas possible, surtout en l’état actuel des choses avec plusieurs dizaines de réfugiés maliens et que cela est susceptible de provoquer un regain de violence. Mais pour les rapporteurs, « la question est de savoir si les forces politiques maliennes sauront saisir l’occasion des élections pour un sursaut politique à la hauteur de la crise historique que vit le Mali, la plus grave depuis l’indépendance. »

Cela étant, cette refondation politique pourrait vite se heurter à une « absence de réconciliation » entre Bamako et les touareg, dont le rapport rappelle qu’ils ne sont pas majoritaires au Nord-Mali, et plus particulièrement ceux du Mouvement national de libération de l’Azawad, l’organisation indépendantiste qui est à l’origine de la situation actuelle dans le pays.

Or, le document met en doute la volonté des autorités maliennes à « promouvoir une véritable réconciliation », surtout en période électorale et avec l’influence du capitaine Sanogo, à l’origine du putsch de mars 2012. Aussi, le rapport préconise le début rapide des travaux de la commission ‘Dialogue et réconciliation’, laquelle devra dépasser la « tentation du déni », en abordant franchement la « question de Kidal et celle du massacre d’Aguelhoc (ndlr, 70 soldats maliens massacrés en janvier 2012) […] abcès de fixation qui doivent recevoir un traitement particulier. »

Qui plus est, il faudra insister sur le désarmement de la rébellion touareg, ce qui risque de ne pas être facile à obtenir. « La question du MNLA et de Kidal est un problème très sensible. La France défend la souveraineté et l’intégrité du Mali mais la réconciliation durable des ethnies conditionne l’éradication définitive des groupes terroristes », souligne le rapport.

Un autre enjeux est la reconstruction de l’Etat malien. Si l’Union européenne contribue à la formation de l’armée malienne avec la mission EUTM Mali, il faut encore rétablir des forces de sécurité et une administration, surtout dans le Nord, où de nombreux bâtiments administratifs ne sont pas en état de fonctionnement quand ils n’ont pas été détruits.

Or, d’après le rapport, Bamako n’aura pas les moyens de le faire « sans l’aide de la communauté internationale. » La conférence des donateurs pour le Mali, prévue le 15 mai prochain à Bruxelles, sera déterminante à ce titre. Elle devra poser quatre défis tels que la « nécessité d’une approche globale, la coordination des bailleurs, la capacité d’absorption des Maliens et l’équilibre politique entre développement au nord et au sud du Mali. » Par exemple, il faudrait 120 millions d’euros au moins pour rétablir la présence de l’administration malienne dans le nord du pays.

La question du développement est ainsi essentielle, et cela d’autant plus que, au sud, l’islam bambara, très majoritairement malékite, « est (…) travaillé par des forces plus radicales. » Aussi, estiment les sénateurs, « il faut aussi offrir des revenus de substitution à une jeunesse désœuvrée que l’envolée des trafics –en particulier la cocaïne-, la faiblesse de l’État, la montée du radicalisme religieux et la déstructuration du pastoralisme nomade, au Nord Mali, ont jetée dans les bras du terrorisme. »

D’autres interrogations portent sur la capacité des forces africaines appelées à être intégrées dans la MINUSMA. Le rapport est direct à ce sujet : « À l’exception des valeureux Tchadiens, combattant au nord avec les soldats français, dont plusieurs dizaines ont trouvé la mort dans l’Adrar des Ifoghas, et des Nigériens, combien de troupes africaines ont-elles été réellement engagées en opérations aujourd’hui, ne serait-ce que de sécurisation ou de filtrage? Quelle est leur capacité à organiser une chaîne logistique dans ce pays où la problématique du soutien est particulièrement prégnante? Sur quels équipements peuvent-elles réellement s’appuyer? Sans renseignement, sans logistique, quelle est leur réelle capacité offensive? »

Mais le plus inquiétant reste que « les facteurs de fragilité qui ont conduit à l’effondrement du Mali sont partagés par plusieurs États de la région. » Qui plus est, le rapport croit qu’il « semble de plus en plus s’opérer un ‘couplage’, via la contagion du terrorisme et du radicalisme religieux, entre Maghreb, Machrek, Moyen-Orient et Afrique sub-saharienne.

Face à cela, et outre la nécessité pour l’Union européenne de mener une réflexion pour s’attaquer aux « causes structurelles » des problèmes dans le Sahel (sous-développement, explosion de la démographie, trafics, défaut de gouvernance), il faut également une « approche globale » et repenser les  » architectures de sécurité régionales » en y associant étroitement l’Algérie, « grande puissance militaire forte d’une armée de 300 000 soldats » sans laquelle rien ne pourra se faire.

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