La France va-t-elle abandonner une partie de sa souveraineté sur une île de l’océan Indien?

Le 18 décembre dernier, le Sénat a adopté, dans le cadre d’une procédure simplifiée, un accord conclu en 2010 entre la France et Maurice prévoyant l’administration partagée de l’île inhabitée de Tromelin qui, située dans l’océan Indien, fait partie des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). L’Assemblée nationale allait en faire de même quand le député (UDI) du Tarn, Philippe Folliot, s’est saisi de la question. Evoquant un « grave précédent d’abandon de souveraineté », il a obtenu que le texte soit reprogrammé en procédure régulière et qu’il fasse l’objet d’un débat.

« L’Assemblée nationale pourra à la fois délibérer sur le fond et sur la forme sur un texte qui pourrait avoir des conséquences sur les autres ilots qui font partie du patrimoine de la République », a expliqué Philippe Folliot.

Si, à première vue, l’île de Tromelin, avec son kilomètre-carré de surface battu par les vents, ne présente pas un intérêt majeur, il en va autrement quand l’on sait que son domaine maritime couvre 285.000 km2, soit la moitié de la France et 2,8% de la surface de l’ensemble de la zone économique exclusive (ZEE) française. Et le principal enjeu de ce territoire concerne les ressources halieutiques. En outre, avec des attaques de pirates somaliens allant jusque dans le canal du Mozambique, les cargos reliant l’Asie à l’Europe pourraient être tentés de croiser dans ses eaux. Certains l’ont déjà fait et cette tendance est susceptible de s’affirmer dans les prochaines années.

L’île de Tromelin a été découverte en 1722 par un navire français de la Compagnie des Indes. Et la souveraineté française s’y est exercée sans être contestée jusqu’à l’indépendance de l’Île Maurice, ancien territoire britannique.

En 1976, cette dernière a en effet revendiqué sa souveraine té sur l’île française, en mettant en avant une interprétation du traité de Paris du 30 mai 1814, par lequel la France s’engageait à céder au Royaume-Uni l’île Maurice et « ses dépendances, nommément Rodrigue et les Séchelles (sic). »

L’intérêt de Maurice est lié aux ressources halieutiques. Si l’île n’a pas d’activité propre à la pêche, elle délivre des licences à des navires étrangers, notamment asiatiques, pour l’ensemble de sa ZEE, y compris celle entourant Tromelin. En 2004, deux bateaux japonais y furent ainsi verbalisés par la Marine nationale pour pêche illégale. Il est ainsi estimé qu’entre 5.000 et 10.000 tonnes de thons y sont pêchés chaque année sans autorisation française. Et certains palangriers en profiteraient pour capturer des requins, ce qui est interdit.

Quoi qu’il en soit, la recherche d’une solution pour dépasser ce différend territorial furent lancée en 1990 par le président Mitterrand. Les négociations ne donnèrent rien de tangible jusqu’au sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la Commission de l’océan Indien (COI) du 3 décembre 1999.

L’accord adopté à cette occasion indiquait qu' »en l’absence d’un consensus entre certains États membres concernant la souveraineté sur certaines îles de l’océan Indien ainsi que la délimitation et le contrôle des ZEE, le sommet a décidé qu’en attendant l’aboutissement des consultations en cours, ces zones de contrôle seront cogérées par les pays qui les revendiquent. Les modalités de cette cogestion seront définies par les États membres concernés dans les plus brefs délais. »

En fait, quelques mois après un entretien entre le président Sarkozy et le Premier ministre mauricien, Navin Ramgoolam, un accord a été signé le 7 juin 2010. Ce dernier a pour objet d' » établir un régime de cogestion économique, scientifique et environnementale relatif à l’île de Tromelin ainsi qu’à sa mer territoriale et à sa zone économique exclusive » sans qu’il remette en cause les positions respectives des deux parties concernant la souveraineté de Tromelin.

Le texte, qui ressemble par certains côtés à l’accord conclu en 2000 entre Paris et Londres, au sujet de l’ile de Jersey, concerne l’environnement, la recherche archéologique (lesquelles portent sur des esclaves ayant survécu au naufrage de l’Utile, en 1761, secourus par le chevalier de Tromelin) et, bien évidemment, la gestion des ressources halieutiques.

C’est dans ce contexte que le ministre des outre-Mers, Victorien Lurel, s’est rendu, le 17 avril, sur l’île en cause, à l’issue d’un voyage de 21 heures au départ de la Réunion à bord du navire Marion Dufresne. « A Tromelin , on est chez nous », a-t-il affirmé Victorin Lurel. « L’accord de gestion ne remet nullement en cause la souveraineté de la France sur Tromelin ni sur les autres îles Eparses. Ma présence le prouve », a-t-il affirmé, en se disant « ravi » que la question soit débattue à l’Assemblée nationale.

Justement, ce ne sera pas la première fois que l’avenir de l’île de Tromelin sera évoqué sur les bancs du Palais Bourbon. En 2009, déjà, il en avait été question avec celui des îles Eparses, où les armées maintiennent en permanence 14 personnels placés en position dite de « participation extérieure« (PARTEX), ravitaillés par avions Transall et par navires, pour un coût s’élevant à 6,3 millions d’euros par an à l’époque. Et lors des débats portant sur la Loi de Programmation Militaire (LPM) 2009-2014, l’idée d’abandonner ces territoires était dans l’air, avant d’être finalement écartée.

Qu’en sera-t-il avec le Livre blanc sur la Défense à venir et la prochaine LPM qui en découlera? Très en pointe sur la défense des territoires très éloignés de la Métropole et dont la souveraineté française est souvent contestée (Tromelin, par l’île Maurice dans l’océan Indien, Clipperton, par le Mexique dans le Pacifique), le député Philippe Folliot aura sans doute fort à faire, d’autant plus que certains domaines maritimes de ces confettis sont susceptibles de receler des matières premières (pétrole, terres rares).

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