Pour la Cour des comptes, l’Etat ne défend pas assez ses intérêts dans l’industrie de l’armement

A l’heure où l’idée que les pouvoirs publics vendent les participations détenues au capital de certains groupes d’armement (qui s’élèvaient à 12,25 milliards d’euros en octobre 2012) afin de dégager des recettes exceptionnelles pour éviter des coupes trop sévères dans le budget des forces armées, la Cour des comptes a rendu public, ce 9 avril, un rapport intitulé « Les faiblesses de l’Etat actionnaire d’entreprises de défense. »

Ainsi, selon Didier Migaud, le premier président de la Cour des comptes, si « le bilan de l’Etat actionnaire est dans l’ensemble positif » car « il a su accompagner seul ou de concert avec ses partenaires industriels la modernisation de l’outil industriel français de défense, le plaçant parmi les meilleurs mondiaux du secteur », il n’en reste pas moins qu’il a « fait preuve de nombreuses faiblesses, se plaçant parfois en risque de perdre le contrôle de certaines activités industrielles de défense ainsi qu’en ayant des difficultés à faire appliquer ses décisions, voire à s’exprimer d’une seule voix. »

Par exemple, l’organisation de l’Etat actionnaire est actuellement principalement menée par l’Agence des Participations de l’Etat (APE) au sein du ministère de l’Economie, avec l’aide, pour ce qui concerne les activités liées à la défense, de la Direction générale de l’armement (DGA).

Or, estiment les magistrats de la rue Cambon, « la coordination des positions de l’APE et de la DGA concernant les décisions à prendre par l’Etat-actionnaire n’est pas toujours assurée. » Et cela a eu des conséquences lors de la fusion entre SNECMA, récemment privatisée, et Sagem, laquelle a donné naissance au groupe Safran.

La part de l’Etat dans ce nouvel ensemble avait été fixée à 30,20%, avec en échange l’obtention de droits de vote double deux ans plus tard, ce qui lui aurait permis de détenir à lui seul la minorité de blocage. Seulement, l’oubli de l’APE de déclarer, auprès de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), ce franchissement de seuil, a rendu caduque cette disposition. Du coup, il n’a pas été possible aux pouvoirs publics de faire aboutir une opération d’échanges d’actifs avec Thales pour rationaliser la filière optronique.

Quoi qu’il en soit, la Cour des comptes recommande une « amélioration de la protection et du suivi des intérêts stratégiques de l’Etat », des restructurations verticales et horizontales dans le secteur ainsi qu’une meilleure coordinatione entre l’APE et la DGA. Selon M. Migaud, « l’Etat ne doit plus agir au coup par coup mais adopter une stratégie d’ensemble, préparer les décisions futures et dire ce qu’il attend de ses partenaires industriels. »

Ce qui passe par la nécessité de faire en sorte que « que les droits d’actionnaire de l’Etat ne soit pas inférieurs à ceux résultant de sa participation au capital », le renforcement, au sein de la DGA, du « suivi des participations dans les industries de défense » et la définition d’une « stratégie à long terme sur les partenariats avec le groupe Dassault », qui détient 26% des parts de Thales, groupe également actionnaire de DCNS. Cela « pourrait avoir des prolongements concernant Giat Industries (ndlr, Nexter), SNPE, voire Safran », estime la Cour des comptes.

Par ailleurs, M. Migaud préconise l’adoption d’une mesure semblable à l’amendement américain Exon-Florio, qui, adopté en 1988 pour compléter le Denfense Production Act, permet la protection des intérêts stratégiques américains et l’interdiction dess acquisitions pouvant porter atteinte à la sécurité nationale.

Cette « arme régalienne par excellence » garantit « une protection des intérêts stratégiques américains même lorsque l’actionnariat des entreprises de défense est privé », souligne Didier Migaud.

« En l’absence aujourd’hui de dispositif de type Exon-Florio, la détention de participations majoritaires ou de minorités de blocage au sein des entreprises, seul ou en partenariat avec d’autres acteurs, constitue pour l’Etat son levier d’action privilégié alors que ses moyens financiers sont limités », a-t-il expliqué.

Aussi, estimant que « l’esprit protectionniste » de l’amendement Exon-Florio est « peu compatible, a priori, avec les règles sinon l’esprit de la construction européenne », la Cour des comptes invite « le gouvernement à poursuivre la discussion avec ces partenaires européens pour trouver un moyen de doter les pays européens, individuellement et/ou collectivement, d’une arme analogue. »

Car, a souligné Didier Migaud, « en matière de protection de son industrie, l’Europe apparaît en effet dans une situation moins favorable que celle des Etats-Unis ou des grands pays, notamment la Chine et la Russie, dont l’industrie de défense est entièrement sous contrôle étatique, à l’abri de toute possibilité d’ingérence étrangère. »

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