Affaire Mahé : Michèle Alliot-Marie a rappelé le contexte « particulier » dans lequel est intervenue la force Licorne

Le procès de quatre militaires français pour le meurtre, commis le 13 mai 2005, en Côte d’Ivoire, de Firmin Mahé, un « coupeur de route » présumé, s’est poursuivi devant la cour d’assises de Paris, avec le témoignage de Michèle Alliot-Marie, le ministre de la Défense au moment des faits.

Pour rappel, l’adjudant-chef Guy Raugel est accusé d’avoir étouffé Firmin Mahé, alors blessé, dans le blindé qui devait l’amener à Man. Deux autres soldats qui se trouvaient à bord du même véhicule doivent se défendre des accusations de complicité de meurtre. Enfin, le colonel Eric Burgaud, chef du corps du 13ème BCA et du bataillon déployé dans la « zone de confiance » séparant les forces régulières et rebelles, est jugé pour avoir ordonné de tuer le coupeur de route présumé.

Juste avant le procès, l’adjudant Guy Raugel est revenu longuement sur ce qu’il s’est passé, ce 13 mai 2005, lors d’un entretien accordé au Dauphiné. « Il n’y avait pas de prison. Des criminels, j’en avais attrapé. Vous savez ce qui se passait ? On les remettait à l’ONU ou au Sifpol. Soit ils étaient remis en liberté, soit ils étaient remis aux gouvernementaux qui les remettaient en liberté. Il n’y avait pas de solution. (…) J’ai fait ça pour que ce criminel soit mis hors d’état de nuire. Je ne voulais pas me salir les mains. Mais là, je me suis sali les mains parce qu’il n’y avait pas de solutions. Et s’il n’y avait pas de solutions, c’est la faute de nos politiques qui nous mettent dans des situations comme ça » a raconté l’ancien sous-officier, après avoir évoqué les nombreuses exactions dont il été le témoin à l’époque.

Si elle a affirmé que les faits reprochés aux 4 militaires étaient « inacceptables, totalement contraires au règlement militaire mais aussi à la morale et à l’éthique », Mme Alliot-Marie a toutefois confirmé les propos de l’adjudant-chef Raugel au sujet du contexte dans lequel les forces françaises étaient plongées.

« De très nombreuses exactions contre les populations s’y déroulaient » a admis Mme Alliot-Marie. « Les militaires français étaient ressentis comme les garants de la sécurité et de la protection des populations. J’ai vu dans les villages les témoignages qui leur étaient adressés », a-t-elle ajouté.

Au sujet des coupeurs de route, l’ancien ministre de la Défense a reconnu que « certains étaient arrêtés et se retrouvaient dans les villages quelques jours, voire quelques heures après, créant un fort sentiment d’impunité dans la population. »

Quant au cadre juridique de l’intervention française en Côte d’Ivoire, l’ancien ministre de la Défense a estimé que le mandat confié aux Nations unies « n’était pas particulièrement adapté » à la situation ivoirienne. Et cela d’autant plus qu’aucun admnistrateur international n’avait été nommé pour donner des suites judiciaires aux arrestations des auteurs d’exactions, ce qui était pourtant réclamé par le commandement français. « Je suis intervenue à plusieurs reprises auprès du responsable des opérations de maintien de la paix » a assuré Mme Alliot-Marie. Mais « je n’ai pas obtenu gain de cause » a-t-elle poursuivi.

Cela étant, l’ancien ministre n’excuse pas les quatre militaires accusés, étant donné qu’ils avaient « l’obligation de désobéir » en cas d’ordre illégal. Un temps inquiété dans cette affaire avant de bénéficier d’un non lieu, le général Henri Poncet, alors commandant de l’opération Licorne au moment des faits, a une nouvelle fois nié avoir donné des instructions visant à tuer Firmin Mahé, contrairement à ce que prétend le colonel Burgaud.

« Je voulais exploiter l’interpellation de Mahé pour reposer la question du cadre juridique de notre intervention » a expliqué le général Poncet, qui a témoigné avant Michèle Alliot-Marie. « A l’époque, la police onusienne s’était retirée et les forces militaires françaises n’étaient, elles, pas autorisées à détenir des prisonniers » a-t-il poursuivi. « J’espérais obtenir la nomination d’un magistrat international et obtenir la création d’une prison (ndlr, pour ce type d’affaires) » a-t-il encore ajouté. Et cela d’autant plus que la capture de Firmin Mahé « démontrait l’efficacité de la Force Licorne dans la lutte contre les ‘coupeurs de route' »

Invité à donner son avis sur la conduite de ses 4 anciens subordonnés, le général Poncet s’est livré à une analyse psychologique. « Il arrive chez certains que les mécanismes cognitifs ne jouent plus leur rôle et qu’il n’y ait plus d’auto-régulation dans un groupe, a-t-il expliqué : confrontés à la mort, il y a parfois des pertes de repères… cela fait des dégâts » a-t-il avancé, estimant que les accusés avaient fini par  » trop s’identifier aux populations civiles » jusqu’à ne plus faire preuve de la « distance nécessaire. »

Cependant, le colonel Burgaud a maintenu sa version des faits. « J’affirme devant vous que le général Poncet, ici présent, m’a bien donné l’ordre dont j’assume la totale responsabilité de l’avoir transmis, moi, mais pas cet homme-là » a-t-il lancé devant la cour. Et de lâcher, à l’égard de son ancien supérieur : « Je ne savais pas avoir été commandé par un psychiatre, je pensais avoir été commandé par un chef, je m’aperçois que ce n’est pas le cas. »

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]