Quatre ex-militaires français de l’opération Licorne devant les Assises
Avec la prolifération d’armes de guerre, le phénomène des « coupeurs de route », c’est à dire des bandits sans foi ni loi, a pris de l’ampleur en Côte d’Ivoire, au point que le ministre ivoirien de l’Intérieur a mis en place un dispositif spécial, en février dernier, pour tenter d’y mettre un terme.
L’activité de ces coupeurs de route n’est pas nouvelle. Dès 2005, les forces françaises engagées dans l’opération Licorne, en Côte d’Ivoire, y étaient déjà confrontées. Dans leur collimateur, un certain Firmin Mahé, tenu pour responsable d’une demi-douzaine de meurtres et autant de viols, commis avec sa bande forte de 7 ou 8 hommes armés.
Le 13 mai 2005, sur la route reliant Duékoué à Man, dans la zone de confiance qui séparant les forces gouvernementales et rebelles ivoiriens, Firmin Mahé est identifié au cours d’une patrouille menée par un peloton de reconnaissance et d’investigation antichars (Priac) armé par le 4ème Régiment de Chasseurs.
Se sentant repéré, Firmin Mahé, armé d’un calibre 12 à canon scié, prend la fuite. Et après les sommations d’usage, un maréchal des logis effectue un tir de « neutralisation » en visant les jambes du fuyard. Mais ce dernier finit par échapper à ses poursuivants. Il se ne sera retrouve qu’en fin d’après midi par un autre patrouille française, gravement blessé à la jambe.
C’est alors que l’adjudant-chef Raugel reçoit l’ordre venant de son chef de corps, le colonal Burgaud, de ramener le coupeur de routes à l’hôpital de Man, « en prenant bien le temps ». Seulement, Firmin Mahé n’arrivera jamais vivant.
Ce n’est qu’en octobre 2005 que l’on apprendra les circonstances de la mort de Firmin Mahé : le coupeur de routes a été étouffé avec un sac plastique à bord du véhicule qui le transportait.
Eclate alors » l’affaire Mahé ». Le ministre de la Défense, qui était à l’époque Michèle Alliot-Marie, décide de suspendre le général Henri Poncet, le commandant de l’opération Licorne au moment des faits, pour « manquements graves à la loi, aux règlements militaires et aux ordres. » Il lui était notamment reproché d’avoir couvert ses hommes afin d’éviter de nouvelles manifestations anti-françaises, quelques mois après celles consécutives au bombardement de Bouaké, en novembre 2004.
Au total, 5 militaires seront mis en examen : outre le général Poncet, le colonel Burgaud pour « complicité d’homicide volonaire », l’adjudant-chef Raugel et le brigadier chef Schnier pour « homicide volontaire » ainsi que le conducteur du VBL, le brigadier-chef Ben Youssouf, pour « complicité ».
En 2010, le général Poncet a bénéficié d’un non-lieu pour cette affaire, l’officier s’étant toujours défendu d’avoir donné un ordre implicite visant à « éliminer » Firmin Mahé. Restait donc à attendre le procès, devant les Assises, des quatre autres militaires impliqués, lesquels ont depuis quitté l’armée.
Ce dernier s’est ouvert ce 27 novembre, devant la cour d’Assises de Paris. Les quatre accusés, qui ont toujours affirmé avoir agi sur ordre, vont comparaître libres. Plusieurs témoins seront appelés à la barre, dont Adèle Ditto, l’ancienne maire adjointe de Bangolo, la localité près de la zone où les faits se sont produits. Exfiltrée vers la France en 2006, cette femme a toujours soutenu que Firmin Mahé était un coupeur de routes, ce que contestent les proches de ce dernier, défendus par Me Fabien Ndoumou.
Dans un entretien accordé au Dauphiné Libéré, l’adjudant-chef Raugel a longuement évoqué cette affaire. « On est dans un monde bien confortable et je vais être jugé par des gens qui vivent dans un monde bien confortable. Je vais devoir leur expliquer qu’en Côte d’Ivoire, dans le secteur où j’étais, on est dans un monde où demain ne compte pas parce qu’il faut déjà survivre aujourd’hui. Ça, c’est fondamental. Ça permet d’expliquer que des professionnels comme nous en arrivent à commettre des choses qu’on ne ferait pas normalement. A un moment, c’est le combat du bien contre le mal » a-t-il expliqué.
Et le sous-officier d’ajouter : » On avait cette zone dans laquelle il ne devait pas y avoir d’hommes en armes. Mais il n’y avait pas de police, plus de maire. Plus rien ne fonctionnait. Donc, forcément, les coupeurs de route avaient beau jeu. (…) Pour moi, c’est devenu une priorité de protéger la population. Toutes les semaines, on ramassait des femmes violées, des hommes découpés à la machette. Je ne me suis pas engagé pour faire des safaris photos. Liberté, égalité, fraternité, ça me parle. J’ai été élevé dans une famille judéo-chrétienne. Servir une cause noble, c’est pour moi quelque chose d’indispensable. J’ai été scout d’Europe, pompier, militaire. C’est vraiment une vocation. Je ne suis pas rentré dans l’armée pour tuer. Maintenant, si au besoin il faut tuer… On se retrouve mis par nos politiques dans des situations… On s’est retrouvé dans un rôle de police pour lequel on n’est pas formé. On avait ce rôle d’interposition très fou. »