Les réductions temporaires de capacité placent la Marine nationale « au bord d’une rupture franche »

Mener de front les missions, les restructurations et le renouvellement des matériels dans un contexte où il est demandé de faire des économies n’est pas une mince affaire. « Pendant les travaux, l’activité ne faiblit pas, mais sans les travaux, elle serait clairement menacée, à court terme! » a résumé l’amiral Bernard Rogel, en évoquant la Marine dont il est le chef d’état-major, devant les députés de la commission de la Défense et des Forces armées, à l’Assemblée nationale.

Pour commencer, le CEMM n’est pas encore certain de boucler financièrement l’année 2012, d’où son appel à « une vigilance particulière. » Et d’expliquer : « La levée de la réserve et du gel des crédits relatifs au fonds ‘Etat exemplaire’, la concrétisation de l’abondement des crédits au titre des OPEX et de celui attendu au titre de la clause de sauvegarde sur les carburants sont indispensables pour permettre une fin de gestion satisfaisante. »

Faute de quoi, a-t-il ajouté, « ce déficit de ressources conduirait à hypothéquer dès le début de gestion le budget 2013 et provoquerait un effet de rupture dans certains marchés avec un impact inévitable sur l’entretien programmé des matériels, les stocks de rechanges, donc le potentiel d’emploi et la disponibilité de nos bateaux et aéronefs. »

Ces contraintes budgétaires, qui se traduisent par un écart grandissant avec la trajectoire financière prévue par la dernière Loi de Programmation Militaire (LPM) font, comme l’a rappelé le chef d’état-major des armées, l’amiral Guillaud, que « le modèle défini par le Livre blanc de 2008 n’est plus soutenable. »

Ainsi, même si, par exemple, le projet de budget 2013 pour la Défense prévoit des crédits d’entretien du matériel au même niveau que l’an passé, ce qui est « déjà un effort en soi », a noté l’amiral Rogel, cela n’empêchera pas  »

un certain nombre de difficultés ayant un impact direct sur l’activité opérationnelle » étant donné l’augmentation des coûts de maintenance, due à la sophistication des nouveaux matériels lors de leur entrée en service et de la plus grande fragilité des plus anciens.

« Si la disponibilité des bâtiments est satisfaisante, les crédits prévus ne permettent pas d’atteindre les objectifs de la LPM, avec, pour la flotte de surface notamment, une prévision de réalisation des heures de mer de l’ordre de 12 % en dessous de l’objectif de la loi de programmation militaire 2009/2014 » a ainsi fait valoir le CEMM.

Et cela a par exemple une incidence sur les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA), contraints d’être immobilisés « neuf mois avant leur période d’entretien majeur afin de respecter l’enveloppe allouée à leur maintenance. » Idem pour l’aéronautique navale, qui a été obligée de réduire son activité de 9% au 2e semestre.

D’où la nécessaire modernisation des équipements de la Marine nationale, laquelle constitue, pour l’amiral Rogel, une réponse aux « réductions, temporaires ou non, de capacité. » Ces dernières, a-t-il poursuivi, placent la Marine « au bord d’une rupture franche. »

« Seules deux frégates ont été livrées au cours des dix dernières années. Quant aux forces outre-mer, elles auront perdu leur capacité en patrouille et en bâtiments de transport léger (Batral) en 2016 si elles ne sont pas remplacées. Ne resteront plus que 6 frégates de surveillance et deux patrouilleurs pour 10 millions de km2 de zone économique exclusive (ZEE) » a rappelé le CEMM. « Il n’est plus possible de retarder le renouvellement de la flotte » a-t-il plaidé.

Parmi les ruptures temporaires de capacité (RTC) que l’amiral Rogel a cités, l’on trouve celle consécutive au désarmement des patrouilleurs P-400, même si des solutions palliatives ont été trouvées pour y remédier en partie, dans l’attente du programme BATSIMAR (Bâtiments de surveillance et d’intervention maritime).

« Nous essayons aussi de trouver un financement interministériel pour l’acquisition de bâtiments multimissions (B2M), c’est-à-dire des navires de soutien civils, pour remplacer les Batral. On ne peut simultanément considérer la zone économique exclusive (ZEE) comme importante et laisser la situation en l’état » a aussi expliqué le CEMM.

Outre les patrouilleurs, ces RTC affectent également les moyens de lutte anti-sous-marines. « Nous avons désarmé le Tourville en 2011, nous allons désarmer le De Grasse dans l’année, ainsi que, l’année prochaine, le Montcalm, et nous n’aurons, pour les remplacer, qu’une frégate Aquitaine » a rappelé l’amiral Rogel, en soulignant que la Marine nationale est passée « en dix ans de 41 bâtiments porteurs de sonar à 20. »

« Il est prévu à l’avenir 9 frégates de défense anti-sous-marine – dont nous avons aussi besoin pour sécuriser, en particulier mais pas seulement, les approches de Brest – et 4 frégates de défense antiaérienne, ce qui est loin d’être excessif » a déclaré le CEMM. « Il faut donc éviter de descendre en dessous du ‘socle’ nécessaire et de faire croire qu’on peut réaliser toutes les missions avec des bâtiments aux normes civiles » a-t-il avancé.

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