La loi sur le secret défense fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité

Dans le cadre de la discussion portant sur la Loi de Programmation Militaire (LPM) 2009-2014, les modalités du secret défense ont été modifiées. Ainsi, il a été adopté la notion de « lieux protégés », dans lesquels un juge d’instruction ne peut plus pénétrer pour y mener une perquisition s’il n’est pas accompagné par le président de la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN), laquelle doit rendre un avis au ministre sur les pièces saisies avant qu’éventuellement le magistrat puisse les étudier.

Un décret et deux arrêtés publiés au Journal Officiel le 23 juin 2010 ont établi deux types de lieux concernés. Les premiers, qui relèvent tous des ministères de la Défense et de l’Intérieur et qui sont au nombre de 19, concernent des « centres techniques et opérationnels ». La base des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de l’Ile-Longue, à Brest, en fait partie.

Les seconds, qui sont sans doute plusieurs milliers, sont des « lieux abritant des éléments couverts par le secret » et ils figurent sur une liste tenue secrète. Pour savoir si un bâtiment qu’il envisage de perquisitionner y figure, un magistrat doit d’abord le demander au ministère de la Justice, qui doit répondre « par tous les moyens et dans les meilleurs délais possibles ».

Ces nouvelles dispositions ont été le fruit d’un compromis, à l’Assemblée nationale, entre la commission des Lois et celle de la Défense. La première avait fait de ce renforcement du secret défense une question de libertés publiques et souhaitait en limiter la portée.

Pour autant, le débat n’est pas terminé. En effet, le juge antiterroriste Marc Trévidic, qui enquête sur l’attentat contre les techniciens de DCNS à Karachi, commis en mai 2002, a transmis à la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris une « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC), rédigée par Me Olivier Morice, l’avocat de familles de victimes.

Pour ce dernier, dont les propos ont été rapportés par le quotidien Le Monde, les dispositions du secret défense donnent au pouvoir exécutif la possibilité « d’intervenir de manière déterminante dans l’issue d’une procédure judiciaire, en n’hésitant pas à entraver la recherche de la vérité ».

Toujours selon l’avocat, c’est au juge qu’il revient « d’apprécier lui-même si l’acte classé ‘secret défense’ qui lui a été préalablement communiqué doit, ou non, être versé à la procédure ». Par conséquent , il est « tout à fait anormal » qu’il ne puisse « de plein droit avoir accès aux lieux et aux documents classés ‘secret défense’ et apprécier lui-même si leur divulgation est possible ».

Au sujet de la CCSND, la QPC note qu’elle « a un rôle purement consultatif, la décision finale appartenant au ministre saisi d’une demande, et donc au seul pouvoir exécutif ». Dès lors, relève le texte, « elle ne saurait se substituer à l’autorité judiciaire dans la conduite d’une procédure d’instruction. (…) En l’espèce, le premier ministre, les ministres de la défense et du budget se sont substitués aux juges d’instruction dans le jugement de l’utilité et de la possibilité d’une mesure d’instruction, ce qui n’est pas leur rôle ».

Cela étant, les ministres concernés suivent, à de très rares exceptions, les avis rendus par la CCSND. Dans l’affaire Karachi, le juge Van Ruymbeck, qui enquête sur le volet financier du dossier, et notamment sur l’existence de possibles rétrocommissions liés à la vente de sous-marins Agosta au Pakistan, s’est vu opposer un refus par le Premier ministre, François Fillon, lorsqu’il avait demandé l’autorisation de perquisitionner le siège de la DGSE.

« La déclassification temporaire de tout ou partie des locaux de la DGSE (…) ne peut recueillir mon accord, compte tenu en particulier de l’avis défavorable émis ce jour par le président de la Commission consultative du secret de la défense nationale » avait alors expliqué le locataire de l’Hôtel Matignon.

Plus récemment, le 6 avril, le ministre du Budget, François Baroin, a refusé de déclassifier des documents concernant le contrat d’armement Sawari II et de répondre ainsi à une demande du même juge Van Ruymbeke. Là encore, il n’avait fait que suivre l’avis défavorable émis par la CCSDN.

A contrario, et toujours en suivant la CCSDN, Hervé Morin, alors ministre de la Défense, avait autorisé le juge Ramaël à perquisitionner les locaux de la DGSE dans le cadre de son enquête concernant la disparition de Mehdi Ben Barka.

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