Les soldats perdus du 1er Régiment Etranger Parachutiste

En 1961, l’armée française, grâce à l’application du Plan Challe, a pris le dessus face aux maquis du Front de libération nationale (FLN), le mouvement indépendantiste algérien.

Pourtant, la politique suivie par Paris s’oriente vers l’indépendance de l’Algérie, qui était alors un département français. Et pour certains militaires, qui ont connu la défaite en Indochine, cela n’est pas acceptable.

Ainsi, le 21 avril 1961, le général Maurice Challe, l’instigateur du plan du même nom et ancien chef d’état-major de l’armée de l’Air, prend la tête d’un coup de force, qualifié sans doute abusivement de « putsch », à Alger.

L’officier n’est pas tout seul : il est accompagné par les généraux André Zeller et Edmond Jouhaud et Raoul Salan, ce dernier n’ayant cependant été prévenu des préparatifs du complot. La carrière militaire de ce « quarteron de généraux en retraite », comme les désignera le général de Gaulle, est éloquente si l’on en juge par les décorations qu’ils portent. Et depuis 1940 et même 1915 pour le général Zeller, ils n’ont connu que la guerre.

Plusieurs raisons peuvent expliquer l’attitude de ces généraux et des soldats qui les ont suivis. Après avoir forcé la main au pouvoir politique pour imposer le général de Gaulle en mai 1958 afin, espéraient-ils, de garder l’Algérie française, ils ne comprennent pas la politique suivie par ce dernier, avec le tournant amorcé le 16 septembre 1959 et son discours sur l’autodétermination. Une autre explication trouve ses racines dans le conflit indochinois : ils ne veulent pas abandonner, une seconde fois, ceux qui étaient restés fidèles à la France.

Assuré du soutien d’officiers en poste en Algérie, le général Challe accepte alors de prendre la tête du « putsch » d’Alger. Mais ce coup de force fera « pschit » car, d’une part, le gouvernement français était au courant de ce qu’il se tramait à Alger et, d’autre part, certains commandants d’unités qui soutenaient l’opération se sont ravisés au moment où les affaires commençaient à devenir sérieuses, comme par exemple le général Gouraud, commandant le corps d’armée de Constantine. A cela s’ajoute également le fait que la plupart des régiments étaient constitués par des appelés du contingent, peu enclin à ce genre d’aventure…

Finalement, seul le 1er Régiment Etranger Parachutiste (REP) suit les généraux rebelles. Cette unité de la Légion étrangère est alors sous les ordres du commandant Hélie de Saint-Marc, passé par le camp de concentration de Buchenwald après avoir été arrêté pour faits de résistance (il était entré dans le réseau Jade-Amicol, à l’âge de 19 ans, en 1941), puis en Indochine.

Créé en 1948 sous le nom de 1er Bataillon Etranger de Parachutistes (BEP), le 1er REP est vite devenu une unité mythique, en raison de son engagement total en Indochine et des noms qui ont servis sous son drapeau. Il a notamment pris part aux combats de la RC4, dans les environs de Cao Bang, en 1950. Il est pratiquement anéanti à de Dong Khe, au point qu’il est dissous une première fois. Le régiment a en effet perdu 21 officiers, 46 sous-officiers et 420 légionnaires, dont le chef de bataillon Segrétain, qui donnera son nom à la 193ème promotion de l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr.

Trois ans plus tard, le 1er BEP sera a nouveau anéanti lors de la bataille de Dien Bien Phu, où il comptera 316 tués dans ses rangs et de nombreux prisonniers qui ne supporteront pas les conditions de détention inhumaine du Vietminh. On retrouve cette unité, devenue 1er REP, en Algérie, un an plus tard. Le régiment prend alors part à l’opération de Suez, en 1956, puis aux combats contre les maquis du FLN. C’est ainsi qu’il perd son chef de corps, le lieutenant-colonel Jeanpierre, dont l’écrivain André Maurois dira de lui qu’il était une personne « au coeur généreux et au caractère détestable, une assez bonne combinaison pour un chef ».

Le 21 avril au soir, le 1er REP marche donc sur Alger. C’est le premier volet des opérations, l’autre devant se passer à Paris. Les 1.000 hommes du régiment ne représentent que 0,3% des effectifs de l’armée française en Algérie. Autant dire que l’entreprise est vouée à l’échec, même si le régiment prend le contrôle, sans coup férir, de la capitale algérienne, qui est par conséquent aux mains des généraux rebelles.

Seulement, à Paris, les choses ne se passent pas comme l’avaient prévu les comploteurs. On l’a vu, le gouvernement français était au courant de leurs préparatifs, grâce aux informations recueillies par plusieurs réseaux de renseignements (RG, Sdece, entre autres). Leurs complices sont par conséquent arrêtés. Le 23, le général de Gaulle assume les pleins pouvoirs en vertu de l’article 16 de la Constitution et demande aux appelés de ne pas suivre les putschistes.

Finalement, le 26 avril, constatant l’échec du coup de force, les généraux Challe et Zeller, ainsi que le commandant Saint-Marc se rendent, pendant que Salan et Jouhaud entrent dans la clandestinité pour former l’Organisation de l’armée secrète (OAS). Quant au 1er REP, il est dissous, le 30 avril 1961, à la demande de Pierre Messmer, alors ministre des Armées.

« Je me souviens du désespoir des légionnaires qui vidaient leurs affaires en donnant des coups dans les armoires en métal. Je me souviens des jurons qui éclataient dans toutes les langues de l’Europe. Je me souviens de ces officiers qui déchiraient leurs décorations. Je me souviens de quelques rafales en l’air et de l’explosion des dépôts de munitions. Je me souviens des curieux et des journalistes, venus observer la curée. Nous vivions ces heures d’abandon où chacun hésite entre le désespoir et le dérisoire. Les légionnaires sont montés dans les camions. Je les avais entraînés dans un combat qui ne les concernait pas. J’entendis leurs voix sourdes, chaudes, puissantes, comme dans un dernier bras d’honneur, entonner l’air de Piaf (…) : ‘Non, je ne regrette rien’ (…) » a confié le commandant Hélie de Saint-Marc, dans ses mémoires (*).

Mais plusieurs de ces légionnaires ont continué leur lutte, en désertant afin de rejoindre les rangs de l’OAS, comme le capitaine Pierre Sergent et le lieutenant Roger Degueldre. Tous deux ont connu leur baptême du feu contre l’occupant allemand. Tous deux ont combattu en Indochine et en Algérie.

De nombreux acteurs de cette révolte militaire seront graciée en 1968 par le général de Gaulle et retrouveront leurs décorations. Le lieutenant Degueldre n’aura pas eu cette chance puisqu’il a été fusillé le 6 juillet 1962 au Fort d’Ivry, dans des circonstances pénibles étant donné que l’officier chargé de lui donner le coup de grâce s’y prendre à 6 reprises.

« Il ne faut pas juger avec nos yeux instruits d’aujourd’hui mais avec nos yeux aveugles d’hier » a écrit Maurice Druon. C’est sans nul doute l’attitude à avoir lorsque l’on considère cette période…

(*) Les champs de braise, commandant Hélie de Saint-Marc, Perrin

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