La polémique sur l’opération de libération des otages au Niger continue
L’opération des forces spéciales françaises ayant visé à libérer des mains d’al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) Vincent Delory et Antoine de Léocour, deux ressortissants français enlevés au Niger en janvier dernier, continue de susciter des réactions négatives.
Les deux jeunes français avaient été retrouvés morts après l’assaut mené par les hommes du Commandement des opérations spéciales (COS), accompli quelques heures à peine après leur enlèvement par un commando armé.
Selon le rapport d’expertises médico-techniques et balistiques, Vincent Delory aurait succombé à cause des « effets thermiques dégagés par un foyer d’incendie » et le Parquet de Paris a précisé, le 3 février, qu’un « projectile de calibre 30 (7,62mm) » a été « retrouvé dans sa fesse » et « ne l’a atteint qu’après ricochets ». Et de préciser que la « la plaie occasionnée n’ayant pas été hémorragique, cette munition ne peut avoir été la cause de la mort » et l’a atteint « à un moment où il était soit déjà décédé, soit à un état avancé de son agonie ». Quant à Antoine de Léocour, il ne fait aucun doute qu’il a été froidement abattu par un tir à « très courte distance, voire à bout touchant ».
Quoi qu’il en soit, la décision de faire intervenir les forces spéciales prête encore à polémique. Comme l’a relevé Secret Défense, le député UMP Yves Fromion, qui a été militaire de 1961 à 1978, a émis de sérieuses critiques à ce sujet, lors de l’audition en commission de Bernard Bajolet, coordonnateur national du renseignement. « Il ne s’agit naturellement pas de briser la nécessaire union nationale contre le terrorisme, mais ceux qui ont donné l’ordre d’intervention devraient en tirer les enseignements afin de mieux réagir à l’avenir. En effet, c’est à la chance que l’on doit de ne pas avoir subi des dégâts plus importants encore. Gardons-nous de reproduire à l’avenir ce genre d’expédition insuffisamment mûrie » a-t-il déclaré.
Autre député UMP, Etienne Pinte s’est montré tout aussi critique. « Cher Alain, si mon cousin avait été à la place des otages assassinés, je ne sais pas si je t’aurais pardonné cette intervention militaire ratée » a-t-il ainsi écrit au ministre de la Défense, Alain Juppé, le 25 janvier, selon le Figaro.
Dans une note publiée une semaine auparavant sur son blog, l’élu des Yvelines rappelle qu’un membre de sa famille avait été pris en otage en « Centre Afrique » (sic) avec un de ses collègues en novembre 2009 et qu’ils avaient tous les deux été libérés « après trois mois de captivité en mars 2010 grâce à l’action efficace du président de la République, de son chef d’état-major de l’époque, l’amiral Guillot (sic) et des services des services du ministre des Affaires étrangères ». (*)
Fallait-il alors donner le feu vert à l’intervention des militaires français, qui n’ont eu que très peu de temps pour planifier une opération difficile? Pour Eric Dénécé, ancien consultant auprès du ministère de la Défense pour l’avenir des forces spéciales et actuelllement président du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), il ne fait pas de doute que l’option choisie a été la bonne et que les « condamnations péremptoires de la décision gouvernementale et de l’action des unités spéciales sont grandement regrettables ».
Ainsi, dans une tribune publiée par le site du CF2R, Eric Dénécé met en garde contre ces déclarations excessives formulées sout le coup de l’émotion » et invite à prendre en compte des « facteurs importants ».
En premier lieu, il rappelle que les militaires des forces spéciales ne sont pas des excités de la gâchette et « lorsqu’ils déclenchent une opération, c’est parce qu’elle celle-ci a été minutieusement préparée et a toutes les chances de réussir; sinon, ils s’abstiennent ».
En outre, Eric Dénécé met en avant que ce sont des hommes qui « risquent leur vie pour en sauver d’autres en s’exposant à des situations particulièrement dangereuses ».
Et de déplorer le silence qui entoure les soldats qui ont été blessés au cours de l’assaut. « Nous n’avons pas entendu les familles avoir un mot de remerciement pour ceux qui ont risqué leur vie pour leurs enfants ou amis, ni pour les militaires nigériens qui ont pris en chasse les terroristes au péril de leur vie » écrit-il.
Enfin, le président du CF2R enfonce le clou en rappelant, une fois encore, que l’opération était « indispensable car elle était possible » et qu’il fallait empêcher les terroristes d’emmener leurs otages dans « des zones inaccessibles à nos moyens de surveillance ». Et de poursuive : « Au demeurant, rien ne nous permet de dire que les deux jeunes gens seraient sortis vivants, ou en bonne santé physique ou mentale, d’une détention aux mains d’AQMI ».
Sur le fond, même si cette opération a eu une issue tragique pour les deux otages, il n’en reste pas moins que les terroristes ont été mis en échec. Désormais, ils y réfléchiront à deux fois avant de s’en prendre à nouveau à des ressortissants français et Eric Dénécé estime qu’elle a même eu « un impact très significatif sur les pays de la région qui ont été dopés par la détermination de la France à combattre les terroriste et se mobilisent davantage dans cette lutte », tout en rappelant que « le sacrifice des deux jeunes gens n’a jamais été dans la volonté du gouvernement ».
(*) Le député parle de l’amiral Edouard Guillaud (et non Guillot), chef de l’état-major particulier du président de la République jusqu’au 25 février 2010, date à laquelle il a pris ses fonctions de chef d’état-major des armées (CEMA).