Hôtel de la Marine : La polémique enfle

Etant donné que l’état-major de la Marine nationale s’installera dans les locaux du futur « Pentagone à la française » construit sur le site de Balard, dans le XVe arrondissement de Paris, le sort de l’Hôtel de la Marine, qu’il occupe actuellement, suscite une polémique qui va grandissant.

Construit au XVIIIème siècle selon les plans de l’achitecte Jacques-Anges Gabriel, ce bâtiment classé, qui a été le garde-meuble de la Couronne avant la Révolution française, devrait être confié au secteur privé, à l’issue d’une procédure lancée en novembre 2010, laquelle prévoit d’accorder un bail emphytéotique au promoteur sélectionné par une commission formée par des représentants des trois ministères concernés (Défense, Budget, Culture).

Les opérateurs privés ont jusqu’au 7 février prochain pour déposer leur candidature. Plusieurs projets sont désormais connus. L’un d’eux, porté par Alain Destrem, consisterait à y installer la Maison Europe-Chine. Pour Jean-Robert Pitte, géographe, universitaire et surtout artisan du classement de la cuisine française au patrimoine de l’Unesco, il s’agirait d’y établir une « Cité de la Gastronomie ». Enfin, l’idée défendue par le promoteur Alexandre Allard, soutenu par Renaud Donnedieu de Vabres, l’ancien ministre de la Culture, suscite la controverse.

Première bordée, celle tirée par les Amis de l’Hôtel de la Marine, une association récemment créée et présidée par Olivier de Rohan. Cette dernière a lancé une pétition, signée par Valéry Giscard d’Estaing, pourtant peu habitué à ce genre de démonstration, ainsi qu’une lettre adressée au Premier ministre, François Fillon, lui demandant de garder le monument dans le giron de l’Etat.

La semaine passé, des historiens (Régis Debray, Jacques Le Goff, Pierre Nora, Jean-Noël Jeanneney) ont signé un appel dans les colonnes du journal Le Monde pour que l’Etat ne « brade » pas un « lieu chargé d’histoire » et qualifié le projet porté par Alexandre Allard de « barnum commercial assorti de suites de luxe ».

La contestation ne s’est pas arrêtée là puisque le quotidien du soir a publié, ce 18 janvier, une nouvelle tribune, signée là encore par un collectif d’historiens, demandant de faire de l’Hôtel de la Marine un « musée de l’esclavage, de la colonisation et de l’outre-mer », étant donné que le second décret d’abolition de l’esclavage y a en effet été signé le 27 avril 1848 par Lamartine, sous l’impulsion de Victor Schoelcher.

Face aux critiques, Alexandre Allard a vivement riposté, le 17 janvier, en estimant qu’il s’agit d’un « débat entre les Anciens et les Modernes ». Et la charge contre ses opposants est sans nuance.

« Il y a les Anciens qui pensent que le patrimoine français doit être mis dans la naphtaline, qu’il ne faut toucher à rien. Et comme l’Etat n’a pas les moyens de l’entretenir, ces bâtiments sont dans un sale état » alors que « là, on a un outil de création de valeur » a-t-il confié à l’AFP. Si l’on pousse ce raisonnement jusqu’au bout, alors on pourrait vendre le Château de Versailles, dont l’entretien coûte très cher, et en faire un parc d’attraction où l’on y vendrait des tee-shirt à l’effigie de Louis XIV…

Quant à la nature de son projet, Alexandre Allard a indiqué qu’il s’agit de faire de l’Hôtel de la Marine un « endroit de rassemblement de tous les talents de la planète, des gens qui font la culture ». Et de préciser qu’il « sera ouvert au public, ce qui fera sa force atomique ». Toujours selon lui, « tout repose sur la robustesse et la perennité du modèle économique ».

Toutefois, il devra au minimum investir 200 millions d’euros. « Le contenant, la boîte, est exceptionnelle. Sinon, il y a 350 m2 de salons rénovés et au premier étage, il y a 2.224 m2 qui ont une valeur historique. Pour le reste, il n’y a rien. Ce n’est même pas du niveau d’un appartement haussmanien » a-t-il expliqué, estimant que sur les « 550 pièces, il y en a 30 qui sont très intéressantes ».

« Dans 60 ou 80 ans, si le modèle de notre projet est pérenne, ils hériteront d’un bâtiment entretenu et flambant neuf qui vaudra des milliards à ce moment là et qui aura créee du rayonnement pour la France. Alors, il est où le problème » a-t-il demandé. Au passage, l’Hôtel de la Marine, qui a plus de 200 ans d’existence, ne sera pas plus neuf dans un siècle qu’aujourd’hui…

Quoi qu’il en soit, l’idée de confier ce monument au secteur privé dérange une partie de la classe politique. Il a été dit qu’Alain Juppé, le ministre de la Défense, qui a hérité du dossier en novembre dernier, n’y serait pas favorable. De même que son collègue de la Culture, Frédéric Mitterrand, qui a déclaré à ce sujet, lors d’une conférence de presse, la semaine passée, suivre l’évolution de ce dossier. « Me connaissant comme vous me connaissez, je ne suis pas très ‘larguez les amarres' », a-t-il affirmé.

Et l’ancien porte-parole de l’UMP, Dominique Paillé, a répondu à Alexandre Allard, via le site du Nouvel Observateur. « L’Hôtel de la Marine est une propriété publique qui doit avoir une destination publique » a-t-il ainsi déclaré. « Il ne s’agit pas d’une querelle des Anciens contre les Modernes (…) C’est tout simplement qu’il y a suffisamment d’enseignes de luxe et de suites comme cela dans la capitale » a-t-il ajouté, avant de dénoncer « la manière dont les choses se sont enclenchées », ce qui lui « fait craindre une affaire d’Etat ». Et il n’hésite pas à parle d’un « nouveau scandale de la République ».

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