« L’Indo », la guerre méconnue
Ca a tapé fort, hier, dans le sud de Tagab, à quelques kilomètres de Kaboul. Un sous-officier du 2e REP tué, trois autres légionnaires blessés, dont un grièvement. Pourtant, le journal de 8 heures d’Europe1 en a tout juste parlé, en fin de séquence. Il était sans doute plus vendeur de diffuser un entretien téléphonique avec la mère d’un jeune français parti apprendre l’arabe littéraire au Moyen Orient et arrêté par les autorités yéménites pour des liens supposés avec al-Qaïda…
Il est à craindre que les opérations militaires françaises en Afghanistan subissent le même sort que la guerre d’Indochine, que l’on commémore ce 8 juin, presque en catimini.
Comparaison n’est certes pas raison. Mais tout de même. Tout comme l’Afghanistan, l’Indochine apparaissait alors fort éloignée, non seulement géographiquement, mais aussi des préoccupations des Français de l’époque.
Seuls étaient mobilisés ceux qui avaient un proche engagé dans le conflit ou ceux qui défendaient politiquement le vietminh d’Ho Chi Minh, au point de saboter le matériel destinés au Corps expéditionnaire français d’extrême-Orient (CEFEO) ou de contraindre à débarquer de nuits les blessés à Marseille, de crainte qu’ils soient pris à partie par quelques militants surexcités (et lâches de surcroît). Dans son livre « Par le Sang versé », l’ancien parachutiste du 1er RCP et reporter Paul Bonnecarrère raconte comment des grenades avaient été modifiées pour ne pas exploser, exposant ainsi la vie de ceux qui, par nécessité de se défendre, les avaient lancées contre des positions ennemies.
Tout d’abord présentée comme étant une guerre coloniale – il s’agissait initialement de remplacer les envahisseurs japonais afin d’éviter que l’Indochine soit administrée par les Britanniques et les Chinois en vertu des accords de Postdam, puis de mettre un terme aux aspirations nationalistes d’Ho Chi Minh, le conflit indochinois s’est mué en guerre idéologique, avec une aide américaine indirecte, portant sur la livraison d’armes et d’équipements.
Preuve, encore une fois, que cette guerre est méconnue : en juin 2008, alors que le Livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale venait tout juste d’être publié et que les vastes réformes de l’armée française allaient s’engager, le ministre de la Défense, Hervé Morin, avait déclaré « nous n’avons jamais déployé 30.000 hommes hors de France depuis la Seconde Guerre Mondiale ». En juin 1954, le CEFEO comptait 177.000 hommes, dont 50.000 « métropolitains », 14.000 légionnaires, 35.000 Nord-Africains, 19.000 Africains et 59.000 supplétifs indochinois. (*)
Au total, ce sont 37.800 soldats français qui ont été tués au cours de ce conflit, dont 18.000 « métropolitains » et 9.000 légionnaires. (**) Si beaucoup ont perdu la vie au combat, d’autres, nombreux, sont décédés suite aux traitements inhumains qui leur avaient été infligés dans les camps de prisonniers vietminh.
Le taux moyen de mortalité constaté dans ces camps était de plus de 60%, avec, pour certains, un taux avoisinant les 90%. Sur 1.900 prisonniers du vietminh au cours des combats de la Route Coloniale 4 (RC4), entre septembre et octobre 1950, seuls 32 en sont ressortis vivants en 1952. Et pour les survivants de Dien Bien Phu, ce taux a été de 70% en près de quatre mois de captivité.
(*) « L’Armée française dans la guerre d’Indochine (1946-1954): adaptation ou inadaptation? » de Maurise Vaïsse, Editions Complexe, 2000
(**) L’ouvrage collectif « Guerre d’Indochine – 1945-1954 », publié aux éditions du Patrimoine en 2004, donne des chiffres supérieurs : 47.674 tués au total, dont 20.524 Métropolitains, 11.493 légionnaires et 15657 Africains.
Plus sur le sujet : Un résumé succint de la première guerre d’Indochine est disponible sur le site Herodote.net. La bataille de Dien Bien Phu est racontée par cet excellent site Internet, en ligne maintenant depuis plusieurs années. Sur le dossier des camps Vietminh, l’on peut consulter le site de l’Association nationale des anciens prisonniers – internés – déportés (ANAPI) . Enfin, les anglophones pourront toujours se rendre sur le site « Indo 1945-1954 – From Haiphong to Dien Bien Phu ».