La bonne entente entre la Syrie et la Russie

Selon la version russe du magazine Newsweek, la politique étrangère de la Russie pourrait prochainement changer de direction et s’orienter cers des « alliances de modernisation avec les Etats-Unis et l’Europe », selon les termes utilisés par le chef de la diplomatie, Sergueï Lavrov, dans l’introduction d’un document intitulé « Programme sur l’emploi efficace et systématique des facteurs de politique étrangère en vue du développement à long terme de la Fédération de Russie ».

Cette nouvelle orientation serait en fait dictée pour des raisons économiques. En effet, l’économie russe, qui s’est contractée de 9% en 2009, est essentiellement dépendantes des exportations de matières premières, notamment de gaz et de pétrole. Et sur le plan industriel, la situation n’est guère brillante car les produits manufacturés en Russie – hormis l’équipement militaire – se vend mal, notamment à cause de ses insuffisances en matière d’innovation technologique.

Pour y remédier, la Russie a donc besoin « d’utiliser le potentiel technologique américain », ce qui suppose une levée des « restrictions toujours en vigueur aux Etats-Unis sur les transferts de technologies en Russie », pour reprendre encore les propos de Sergueï Lavrov.

Aussi, depuis quelques temps, la Russie semble se rapprocher des positions défendues par l’administration américaine et les démocraties occidentales au sujet du nucléaire iranien. En effet, Moscou n’a toujours pas livré les systèmes de défense aérienne S-300 à Téhéran, lesquels pourraient compliquer un éventuel raid aérien israélien sur les installations iraniennes d’enrichissement d’uranium. D’ailleurs, il se dit qu’Israël aurait obtenu cette concession en échange de la vente de drones à l’armée russe, à laquelle a constaté son déficit capacitaire en la matière durant le conflit avec la Géorgie d’août 2008.

Toujours sur le dossier du nucléaire iranien, les présidents américain et russe ont fait part de leur intention, le 13 mai, « d’intensifier leurs efforts » afin que soit votée un résolution portant sur de nouvelles sanctions à l’égard de l’Iran.

Cependant, et dans le même temps, il ne faut pas perdre de vue que la nouvelle doctrine militaire russe place l’Otan au rang de ses principales menaces. Aussi, même si une inflexion de la politique étrangère de Moscou est perceptible, il n’en reste pas moins que, pour l’instant, et dans ses grandes lignes, elle reste fidèle à ses principes du passé, voire même à ceux de l’ancienne Union soviétique, à la différence que ses rapports avec la Chine se sont grandement améliorés si on les compare à ce qu’ils étaient dans les années 1960-1970.

Passons sur les relations privilégiées de la Russie avec le Venezuela d’Hugo Chavez, lequel cherche à contrer l’influence des Etats-Unis en Amérique du Sud et entretient de bons rapports avec l’Iran, tout comme la Syrie.

Le 3 mai dernier, Washington a renouvellé ses sanctions prises contre Damas. Il est reproché au régime de Bachar el-Assad de soutenir et d’armer le Hezbollah, la milice chiite libanaise, ainsi que de cultiver des liens étroits avec Téhéran.

Seulement voilà, la Syrie est une carte importante dans le jeu de la Russie : elle représente 20% du commerce russe dans le monde arabe et l’exploitation de ses ressources gazières et pétrolières intéressent le Kremlin.

Aussi, la visite officielle du président Medvedev en Syrie, les 10 et 11 mai derniers, a été l’occasion pour les deux pays de resserrer leurs liens. Il était d’ores et déjà acquis que la base navale de Tartous, située sur la côte syrienne, allait accueillir des bâtiments de la flotte russe de la mer Noire, après ceux de la 5e escadre soviétique jusqu’en 1991, offrant ainsi à la Russie un point de chute en Méditerranée.. C’est en tous les cas ce qu’a déclaré, en avril dernier, Anatoli Tsyganok, le chef du Centre russe de prévisions militaires.

Outre la signature d’accords économiques et la mise en place d’un Conseil de coopération stratégique entre les deux pays , la Russie a proposé son aide aux projets nucléaires civils de Damas.

Or, cette perspective n’enchante pas vraiment Washington. « La Syrie n’a pas répondu aux questions sur son respect du Traité de non-prolifération, et tous les pays qui envisagent une coopération dans le domaine de l’énergie doivent tenir compte de ceci » a fait valoir Philip Crowley, le porte-parole de la diplomatie américaine. En septembre 2007, l’armée de l’Air israélienne avait mené un raid contre une site nucléaire syrien, faisant manifestement partie d’un programme à visée militaire. Depuis, les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique, envoyés en Syrie, ont déploré le manque de collaboration de Damas à ce sujet.

A propos du nucléaire, Dmitri Medvedev et Bachar el-Assad ont plaidé pour un « Proche Orient dénucléarisé », appelant au passage Israël à rejoindre le Traité de non-prolifération (TNP), ce qui supposerait, pour l’Etat hébreu, de se soumettre aux contrôles de l’AIEA, ce qui ne manque pas de sel venant de la part du dirigeant syrien alors que son pays cherche à s’y soustraire…

Quoi qu’il en soit, cette visite à Damas a été l’occasion pour le président Medvedev de s’en prendre à Israël, l’allié traditionnel des Etats-Unis même si ces relations ont subi un coup de froid récemment. Ainsi, le chef de Kremlin a condamné, de concert avec son homologue syrien « les activités de colonisation israélienne, de même que les mesures unilatérales prises notamment à Jérusalem-Est » et a demandà à Israël de se retirer du plateau du Golan, ainsi que de « tous les territoires occupés en juin 1967 ».

Mais Dmitri Medvedev est allé encore plus loin en rencontrant Khaled Mechaal, le chef en exil du Hamas, considéré comme étant un mouvement terroriste aussi bien par les Israéliens que par les Occidentaux.

Cette organisation « a le but avoué de détruire l’Etat d’Israël » rappelle un communiqué du ministère israélien des Affaires étrangères, en réaction à cette rencontre. « Les membres du Hamas sont responsables de la mort de centaines de personnes innocentes, dont des ressortissants russes » poursuit le texte, lequel estime qu' »il n’y a pas de différence entre les actions du Hamas conte Israël et la terreur tchétchène contre la Russie ».

Plus sur le sujet : « La Russie menace-t-elle l’occident? » , de Jean-Sylvestre Mongrenier (Choiseul Editions, 17 euros, préface d’Yves Lacoste) permet de mieux comprendre les motivations de la politique étrangère et militaire de la Russie et d’en saisir les enjeux.

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