Conflit(s) au Yémen
Après la mort, le 3 novembre dernier, d’un garde-frontière et l’incursion de rebelles yéménites sur son territoire, l’Arabie saoudite est désormais impliquée militairement dans les problèmes sécuritaire du Yémen. Voici quelques éléments pour mieux en comprendre les enjeux :
Des divisions du passé qui ressurgissent
L’existence du Yémen que l’on connaît actuellement est en fait toute récente. Au XIXe siècle, le pays était divisé en deux parties, le Nord étant sous la domination de l’empire Ottoman et le Sud étant contrôlé par les Britanniques.
En 1918, la région septentrionale accède à l’indépendance et devient le royaume mutawakkilite du Yémen, gouverné par Yahya Muhammad Hamid ed-Din, l’imam des zaïdites, une branche de l’islam chiite. En 1962, cette monarchie chiite est renversée par un coup d’Etat mené par les sunnites et la province prend le nom de République arabe du Yémen (ou Yémen du Nord).
De son côté, la région méridoniale devient la République démocratique populaire du Yémen du Sud après le départ des Britanniques en 1967 et adopte la doctrine marxiste.
En 1990, les deux entités finissent par fusionner pour former la République du Yémen, présidée par Ali Abdullah Saleh, qui dirigeait auparavant le Yémen du Nord. Cependant, cette réunification n’est pas synonyme de stabilité. En 1994, le sud du pays a tenté de faire sécession, sans succès. Puis, à partir de 2004, c’est un mouvement rebelle de la minorité chiite zaïdite qui commence à faire parler de lui dans le nord, et plus précisement dans la province de Saada.
La rébellion Houthiste
Economiquement sous-développée, la province de Saada est un bastion des chiites d’obédience zaïdite. En 1997, Cheikh Hussein Badr Eddine Al-Houthi fonde un mouvement appelé « Jeunesses croyantes » (shabab al-mu’min). S’estimant opprimés par le régime du président Saleh, ceux qui se font appeler les « houthistes » prennent les armes en juin 2004.
La mort de son chef, trois mois plus tard, aurait pu porter un coup fatal à la rébellion. Or, il n’en a rien été, bien au contraire : elle compterait quelques milliers de combattants actuellement, contre seulement 400 il y a cinq ans. Jusqu’à présent, les combats avec les forces gouvernementales et les insurgés avaient été sporadiques. Mais depuis le mois d’août, Sanaa est décidé à en finir avec les houthistes, en lançant une vaste offensive militaire.
Ainsi, soi-disant pour éviter d’être encerclés par l’armée yéménites, des rebelles zaïdites sont entrés en Arabie saoudite. Au cours de cette incursion, un garde-frontière saoudien est tué. Et c’est cet incident qui va ainsi pousser Riadh à s’impliquer dans ce conflit interne au Yémen, notamment en bombardant les positions houthistes.
Le rôle de l’Iran
Comme l’a souligné le géopolitologue Olivier Kempf, il n’y a pas de preuves d’un éventuel soutien à la rébellion houthiste de la part de l’Iran chiite. Seulement des présomptions, sur la base de la proximité confessionnelle entre les dirigeants iraniens et les insurgés zaïdites. Encore que, le chiisme de ces derniers présentent quelques différences dogmatiques avec celui qui est pratiqué à Téhéran.
Cependant, plusieurs déclarations de responsables du pays des mollahs montrent leur intérêt pour les opérations militaires en cours contre les houthistes, comme celle du chef d’état-major iranien, le général Hassan Firouzabadi, qui a qualifié l’intervention saoudienne de « terrorisme d’Etat » susceptible de mettre en danger la région et d’alimenter l’extrémisme dans le monde musulman. Et même si Maouchehr Mottaki, le ministre iranien des Affaires étrangères a proposé, le 11 novembre, une coopération avec Sanaa, cela n’a pas empêché un journal ultraconservateur de Téhéran d’assimiler le conflit yéménite à une attaque « des Arabes contre les chiites ».
Reste que le Yémen et l’Arabie Saoudite accusent l’Iran de soutenir les rebelles. Le 28 octobre dernier, soit quelques jours avant l’intervention saoudienne, les autorités yéménites avaient annoncé la prise, au large des côtes du nord du pays, d’un bateau présenté comme étant iranien et chargé d’armes.
Mais si les preuves d’un soutien de Téhéran à la rébellion houthiste ne sont pas formellement établies, il n’en reste pas moins que ce conflit sert les intérêts iraniens. Depuis la chute de Saddam Hussein et la venue au pouvoir de chiites à Bagdad, l’Arabie Saoudite et d’autres monarchies du golfe Persique ont une obsession : l’émergence d’un « Croissant chiite », qui serait au service d’un possible hégémonie de l’Iran dans la région.
Cette crainte est d’autant plus justifiée qu’une forte minorité chiite (10% de la population) est présente dans la péninsule arabique. Et l’on ne peut pas dire que les revendications de cette dernière aient souvent été prises en compte dans un pays où le wahhabisme, c’est à dire l’interprétation rigoriste de l’islam sunnite, est la doctrine officielle. Et le conflit qui oppose les houthistes au pouvoir central yéménite pourrait bien inspirer les chiites saoudiens, ou du moins. D’où un possible effet de contagion.
Par ailleurs, il se trouve que les chiites représentent près de 30% de la population de la province saoudienne du Hasa. Or, le sous-sol de cette dernière recèle une grande partie des réserves pétrolières du royaume… Par conséquent, des troubles dans cette région affaibliraient Riyad, ce qui pourrait affecter la production d’or noir du pays , au grand bénéfice de l’Iran, dont les exportations de bruts pourraient être menacées par d’éventuelles sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU en fonction de son attitude sur la question de son programme nucléaire.
Cette menace de « Croissant chiite » fait que les membres du Conseil de coopération du Golfe (Arabie Saoudite, Koweit, Bahreïn, Oman et les Emirats arabes unis), ainsi que la Jordanie et l’Egypte, soutiennent le Yémen dans sa lutte contre les rebelles houthistes.
En toile de fond : al-Qaïda
Le réseau al-Qaïda est très actif au Yémen. N’oublions pas que c’est dans le port d’Aden que le destroyer américain USS Cole avait été la cible d’un attentat attribué à la nébuleuse terroriste, en octobre 2000. Plusieurs attaques et enlèvements (notamment contre l’ambassade américaine en 2008) ont été revendiqués par les djihadistes locaux.
Récemment, les branches saoudiennes et yéménites d’al-Qaïda ont fusionné en un seul groupe, appelé « Al Qaïda dans la péninsule arabique » (AQAP). En fait, il semblerait que les fidèles saoudiens d’Oussama ben Laden aient décidé de faire du Yémen leur base arrière à partir de laquelle ils peuvent mener des actions contre Riyad. C’est de ce pays qu’est venu l’auteur de la tentative d’attentat d’août dernier, contre le prince saoudien Mohammed Ben Nayef Al-Saoud, le chef de la lutte antiterroriste.
Bien qu’engagé aux côtés des Etats-Unis dans ce qui est appelé « la guerre contre le terrorisme » depuis le 11 septembre 2001, le Yémen n’a pas vraiment les moyens pour lutter contre al-Qaïda sur son sol. Et ceci est d’autant plus vrai que vient s’ajouter le conflit contre les houthites. L’armée yéménite, qui bénéficie d’un budget qui représente 6% du PIB et 40% des dépenses de l’Etat, ne dispose pas d’effectifs suffisants et d’armements assez modernes pour mener une lutte sur deux fronts.
Aussi, c’est la raison pour laquelle les militants d’al-Qaïda sont relativement en sécurité au Yémen.
Par ailleurs, même si c’est pour des raisons différentes, le gouvernement central et les combattants islamistes partagent le même combat contre les houthistes. C’est sans doute pour cela que le président Saleh aurait recruté des djihadistes « repentis » pour mener des opérations contre les rebelles zaïdites, mais aussi contre les « ennemis de l’Etat », c’est à dire les militants marxistes nostalgiques de la République démocratique populaire du Yémen Sud, dont le marxisme en fait des athées.
Enfin, le 10 novembre, un des responsables de l’AQAP, Mohammed ben Abdel Rahman al-Rachid, s’en était pris aux chiites, considérés comme hérétiques, et donc aux Iraniens. « La menace (ndlr: des chiites) contre l’islam et son peuple est bien plus importante que celle des juifs et des chrétiens » avait-il affirmé dans un enregistrement sonore repéré par SITE Intelligence, le groupe américain spécialisé dans la surveillance des activités islamistes sur Internet.
« Nous appelons la nation à être aux côtés des (ndlr: sunnites) avec tous leurs moyens contre le danget de l’Iran et des fidèles à la foi chiite dans la région » avait-il poursuivi. « Ne voyez-vous ni n’entendez-vous les aspirations des houthis au Yémen et leur incursion contre les sunnites? » avait-il aussi demandé.
Cependant, al-Qaïda continue de s’en prendre aux autorités yéménites. En effet, Bassam Tarbush, un haut responsable anti-terroriste, a été assassiné par des membres du réseau terroriste. Enlevé en juin dernier, il aurait payé son implication dans l’élimination d’Ali Qaed Sunian al-Harithi, alias Abu Ali, lors d’une frappe aérienne réalisée par un drone américain en 2002. Enfin, le 5 novembre dernier, l’AQAP-Yémen a revendiqué une embuscade qui avait fait six tués parmi les forces de sécurité yéménites.