La vente d’un BPC de type Mistral à la Russie ne fait pas l’unanimité

Le bâtiment de projection et de commandement (BPC) Mistral fait actuellement escale à Saint-Petersbourg. Depuis cet été, le ministère russe de la Défense a officiellement manifesté son intérêt pour ce type de porte-hélicoptère, qui est le navire le plus gros mis en oeuvre par la Marine nationale, après le porte-avions Charles de Gaulle.

L’utilité d’un BPC a notamment été démontrée à l’occasion de l’opération Baliste, conduite en 2006 au Liban, lors du conflit entre Israël et le Hezbollah, la milice chiite libanaise. Le navire avait alors transporté des hélicoptères, 650 militaires de l’armée de Terre, 85 véhicules dont 5 AMX-10RC et une vingtaine de VAB et permis l’évacuation de plus d’un millier de civils.

Du coup, le retour d’expérience de l’armée russe sur son engagement en Géorgie en août 2008 a mis en évidence la nécessité pour Moscou de se doter d’un tel bateau, qui aurait permis de déployer des troupes « en 40 minutes au lieu de 26 heures », comme l’a indiqué l’amiral Vyssotski, le commandant de la marine.

En octobre, le président Sarkozy a donné son accord pour l’ouverture de négociations portant sur la vente d’un BPC à la Russie, ce qui constitue une première puisque Moscou n’a acheté de l’armement à un pays membre de l’Otan. Pourtant, la décision de l’Elysée ne fait pas l’unanimité, et pas seulement au niveau de l’état-major particulier du président (*).

Soutien de l’actuel chef de l’Etat lors de l’élection présidentielle de 2007, le philosophe André Glucksmann a tiré une longue salve contre ce projet de vente. « Fournissant à Poutine les armes d’un débarquement rapide en Géorgie, en Crimée, voire dans les pays baltes, notre message est clair : allez-y! » écrit-il dans les colonnes du quotidien Le Monde. Et d’argumenter : « Quoi que fasse l’armée russe, nous ne protesterons qu’après coup, devant le fait accompli, donc en vain parce que trop tard. Plus question d’arrêter les chars aux portes de Tbilissi comme en août 2008! En signant la vente des navires de type Mistral, Nicolas Sarkozy paralyse sa diplomatie et s’interdit désormais toute possibilité de jouer les sauveteurs. Rancuniers, les dirigeants russes lui font manger son chapeau. Ce contrat ‘commercial’ vaut un encouragement au pire ».

Côté géorgien, la perspective de voir la Russie se doter de BPC n’enchante guère, d’autant plus que Moscou a justifié leur achat en citant justement ce qu’ils aurait pu accomplir si ils avaient été en service au moment des hostilités de l’été 2008. Quant aux pays baltes, qui craignent, tout comme Tblissi, l’affirmation d’un « impéralisme russe » en raison de leur passé soviétique, cette vente suscite des interrogations et des inquiétudes.

Ministre estonien des Affaires étrangères, Urmas Paet veut des éclaircissements de la part de Paris. « Nous allons demander à la France des informations sur ce contrat et le sujet sera aussi examiné par le groupe de travail chargé des biens stratégiques au sein de l’Union européenne » a-t-il indiqué, le 24 novembre. En fait, il s’agit surtout de savoir si le BPC serait fourni « avec ou sans équipement de haute technologie ». Ce qui sera effectivement le cas puiqu’il n’est pas question de vendre un bâtiment entièrement équipé.

Cela étant, à Paris, on fait valoir qu’il est nécessaire de s’allier les bonnes grâces de Moscou et de promouvoir ainsi des partenariats qui peuvent être fort utiles dans la gestion du nucléaire iranien ou dans le réglement du problème afghan. En clair, refuser de vendre un bateau à un pays à qui on tend la main n’aurait pas de sens. Et puis si la Russie ne peut acheter de BPC aux Français, elle aura toujours l’opportunité d’en commander ailleurs : les Pays-Bas proposent un bâtiment proche du Mistral, de type Johann de Witt. Enfin, il est difficile d’imaginer, en l’état actuel des choses, que le Kremlin décide d’envahir les Etats baltes, par ailleurs membres de l’Union européenne et de l’Otan.

Mais outre ces considérations, les plus fortes réticences à cette vente sont sans doute à chercher du côté de la Russie. « Je me sens très négative sur le projet d’achat (ndlr: du BPC) » a confié une employée du secteur naval russe au journal Moscow Times. « C’est un acte de sabotage contre notre industrie de construction navale. Nous pouvons construire de tels navires nous-mêmes, mais les autorités ne nous passent pas commande » a-t-elle poursuivi.

(*) voir TTU n°731, 14 octobre 2009

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