Payer les taliban?

« Payer des taliban pour avoir la paix, c’est contraire même aux principes de l’honneur qui fontde une armée » avait déclaré Hervé Morin, le ministre de la Défense, lors de la polémique liée aux pratiques italiennes dans la vallée d’Uzbeen, le mois dernier. « Mais l’idée même qu’une armée puisse payer ceux qu’elle est amenée à combattre serait bien entendu un très mauvais signe. Ce serait le signe que nous ne sommes pas en mesure de remplir notre mission » avait-il poursuivi.

Seulement, il semblerait que payer les insurgés soit une pratique courante, et même encouragée, si l’on en croit certaines révélations faites par la presse. Ainsi, une enquête du journaliste Aron Roston, publiée par l’hebdomadaire The Nation, indique que les sociétés privées de sécurité, sous contrat avec le Pentagone, n’hésitent pas à verser des « rançons de protection » aux taliban pour que ceux-ci n’attaquent pas les convois de logistique destinées aux troupes de la coalition déployées en Afghanistan et dont la route passe par l’Hindu Kush, à la frontière pakistano-afghane. Mieux même : il est arrivé que des insurgés soient payés pour escorter des camions et les défendre contre des groupes rebelles rivaux.

Au total, les taliban aurait amassé « des dizaines de millions de dollars », de quoi largement compléter les revenus tirés de divers trafics. Cette situation ubuesque fait dire à un fonctionnaire du département de la Défense que « l’armée (américaine) paye les taliban pour qu’ils ne tirent pas sur ses soldats. Les taliban nagent dans l’argent du Pentagone ».

D’argent, il en est aussi question dans le dernier manuel de contre-insurrection de l’armée britannique, publié le 16 novembre. Déjà à l’origine de l’affaire concernant l’achat de la tranquilité en vallée d’Uzbeen par les militaires italiens, le Times en fait un compte rendu dans son édition de ce jour. Ainsi, l’on apprend que le document recommande de payer les recrues potentielles des insurgés en leur proposant plus que les 10 dollars quotidiens que leur donne le mouvement taleb.

« Les meilleures armes pour contrer les insurgés, c’est de ne pas tirer. En d’autres termes, d’utiliser des sacs d’or à court terme pour changer la dynamique de la sécurité. Mais il ne faut pas simplement agiter l’or devant eux, il faut le faire avec prudence » déclare le général de division Paul Newton dans les colonnes du journal.

« Bien dépensé, dans un plan à long terme, l’argent est un moyen d’empêcher la communauté d’apporter un soutien aux insurgés et permet aux militaires d’économiser un recours à la force » précise le manuel, qui recommande par ailleurs de discuter avec les responsables de l’insurrection. « Il n’y a pas d’intérêt à parler aux gens qui n’ont pas de sang sur les mains » estime le général Newton.

Cependant, le ministère britannique de la Défense (MoD) a vite réagi pour rectifier le tir. Ainsi, il ne serait pas question « d’acheter » les recrues des taliban mais « de financer des projets qui ont rapidement n impact, et qui fournissent des résultats rapides pour gagner la confiance des populations locales ». Et le ministère de préciser : « Cela peut être fait en finançant des projets de reconstruction et de développement qui satisfont leurs besoins immédiats et en aucune façon de payer les insurgés pour obtenir leur obéissance ».

Cela étant, l’idée de payer les taliban « repentis » fait l’ojet d’une proposition de loi aux Etats-Unis. Il s’agit d’appliquer à l’Afghanistan ce qui a été appliqué, non sans succès, en Irak où l’armée américaine avait réussi à rallier à sa cause des insurgés sunnites à coup de dollars et d’armes. Reste à voir si le contexte afghan se prêtera à cette politique de la main tendue, ce qui est loin d’être acquis.

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]