Quelques éléments de la tactique des taliban
Arrivé il y a tout juste deux mois à la tête de la Force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF) de l’Otan et des troupes américaines de l’opération Enduring Freedom, le général Stanley McChrystal n’a pas fait preuve d’un optimisme débordant au cours de l’entretien qu’il a accordé au quotidien économique The Wall Street Journal.
Pour l’officier américain, les taliban auraient « pris le dessus » en Afghanistan, et cela, à quelques jours de l’élection présidentielle. En effet, les insurgés tentent maintenant des opérations qui vont au-delà de leur sphère d’influence traditionnelle, c’est à dire dans les provinces du nord et de l’ouest du pays, jusque là relativement épargnées par les violences.
Sans écarter l’hypothèse que le général McChrystal ait tenu ces propos alarmistes dans le but d’obtenir davantage de moyen, de maintenir la mobilisation des alliés et de faire pression sur des pays comme le Canada, qui semble ne pas vouloir revenir sur sa décision de se retirer son contingent de Kandahar à partir de 2011, le fait est que l’activité des taliban et de leurs alliés s’intensifie depuis plusieurs mois, à mesure que l’échéance électorale du 20 août approche.
Alors que les militaires américains ont lancé une grande offensive dans le Helmand (opération « Coup de Poignard ») au début du mois de juillet, les insurgés en ont profité pour infiltrer Kandahar, selon le général McChrystal. Il faut dire que cette ville du sud afghan a toujours été le fief des taliban. Mais cela prouve que ces derniers savent toujours s’adapter aux situations nouvelles, même si, encore faut-il le rappeler, ils subissent des pertes importantes.
Cela étant, une nouvelle stratégie va être mise en place en Afghanistan. Elle consistera avant tout à sécuriser les populations civiles, tout en leur apportant une aide à leur développement économique, afin de « gagner les coeurs et les esprits ». Il est à noter que les militaires français déployés dans le pays appliquent déjà en partie cette façon d’opérer sur le terrain et c’est la raison pour laquelle ils obtiennent des résultats intéressants, notamment en vallée d’Alasaï.
La première force des taliban est de savoir tirer parti des erreurs de leurs adversaires. Au Pakistan, la faiblesse et le manque de détermination des autorités d’Islamabad à combattre les extrêmistes religieux a conduit à négocier un accord prévoyant l’entrée en vigueur de la charia (loi islamique) dans la vallée de Swat. Loin d’apaiser leur appétit, les taliban locaux en ont profité pour s’infiltrer dans les district voisin et progresser ainsi jusqu’à une centaine de kilomètres de la capitale pakistanaise.
Dans le sud de Afghanistan, et notamment dans la province du Helmand, les taliban ont su exploiter les erreurs de l’opération Enduring Freedom, qui avait la responsabilité de la région avant que l’ISAF en prenne le commandement en 2006. Avant cette date, la priorité était à la traque des éléments résiduels d’al-Qaïda par les forces spéciales, sans se préoccuper de faire adhérer la population civile au nouveau régime mis en place à Kaboul sous l’égide du président afghan Hamid Karzaï.
En plus de cela, le manque de moyens pour le développement économique a conduit à l’extension des cultures du pavot, qui font de l’Afghanistan le premier producteur mondial et dont le trafic alimente les caisses des taliban. Ces derniers ont profité de leur proximité géographique avec les zones tribales pakistanaises, bastion des groupes radicaux islamistes, pour disposer de bases de repli. Et surtout, ils ont pu s’imposer à la population civile, échaudée par les bavures commises lors de raids aériens.
Pour s’assurer de la « bienveillance » de la population, les taliban n’hésitent pas à avoir recours à des méthodes expéditives. Ainsi, les personnes accusées de collaborer avec les autorités de Kaboul et les forces alliées étaient, du moins en 2006, décapitées et le film de leur exécution diffusé au sein de la population. La propagande est sans doute leur carte la plus redoutable car il n’est pas facile de la contrer.
En effet, le 10 août, un convoi, avec 7 militaires belges d’une équipe d’instructeurs (Operational Mentoring and Liaison Team) a été attaqué à Kunduz, dans le nord de l’Afghanistan. Aucune victime n’a été à déplorer mais les taliban, par la voix d’une de leur porte-parole, Zabiullah Mujahid, ont affirmé avoir tué 10 soldats allemands. L’on peut imaginer quel effet cela peut avoir sur la population civile afghane, amenée à douter de la capacité des institutions afghanes et des forces alliés à s’imposer dans le pays.
La propagande des taliban s’adresse également aux opinions publiques occidentales. La diffusion récente d’un film montrant un prisonnier américain appelant les Etats-Unis à se retirer d’Afghanistan en est un élément. Comme aussi l’exploitation de la mort des soldats de l’ISAF. Or, il est important pour le militaire déployé dans une opération que cette dernière soit majoritairement soutenue par l’opinion de son pays.
Malheureusement, force est de constater que cette forme de propagande fonctionne. Dans la plupart des pays européens contributeurs à la force de l’Otan, l’opinion publique vacille. Et le décès d’un caporal-chef du 3e RIMa, le 1er août, a ravivé les débats sur l’engagement militaire de la France en Afghanistan. Il est à déplorer, cependant, que certains puissent profiter de cette triste occasion pour en faire un sujet de polémique, alors que cette question aurait pu être abordée en commentant les propos du chef de l’Etat au sujet de la situation afghane, tenus lors du dernier 14 juillet.
La mission des militaires de l’ISAF et de l’opération Enduring Freedom est loin d’être simple. Il faut dire que les insurgés ont su, là encore, adapter leurs techniques de combat à leurs adversaires. Ils ont pu bénéficier de l’expérience que des djihadistes ayant combattu en Irak leur ont apporté. Ainsi, l’usage des engins explosifs improvisés (IED) s’est ainsi répandu. Ils sont même la cause de la plupart des décès des soldats occidentaux. Les taliban combinent d’ailleurs l’emploi des IED et les embuscades, tendues par de petites équipes lourdement armées.
Autre méthode importée du conflit irakien : l’attentat suicide. Ce mode opératoire n’était pas dans la culture afghane au moins jusqu’en 2006. Désormais, les taliban et leurs alliés n’hésitent plus à utiliser des kamikazes pour frapper les institutions et les forces de sécurité afghanes ainsi que les troupes de l’ISAF. Et comme ces dernières sont conscientes de cette menace, tous les moyens sont bons pour tromper leur vigilance, voire pour provoquer une bavure qui sera exploitée à des fins de propagande.
Ainsi, le conducteur d’une voiture qui ne ralentit pas à l’approche d’un barrage routier ne signifie pas forcément qu’il s’agit d’un kamikaze : il se peut tout simplement qu’il n’ait pas compris les gestes lui indiquant de s’arrêter. En revanche, il est arrivé qu’un véhicule, avec à son bord des femmes et des enfants simplement pris en stop, soit destiné à exploser au milieu d’un convoi. Autre exemple de stratagème utilisé : lors de l’attaque d’un bâtiment officiel à Pul-e-Alam, situé dans la province de Logar, certains kamikazes s’étaient déguisés… en femmes voilées.