Vers la privatisation de la guerre?

Depuis l’Antiquité, nombre de conflits ont impliqué, selon leur nature, des mercenaires, c’est à dire des soldats professionnels agissant pour leur propre compte et se mettant au service d’une nation ou d’une cause.

Généralement, ces mercenaires ont formé des forces d’appoint. Tel a été le cas des Dix-Mille, qui épaulèrent Cyrus le Jeune contre son frère, le roi de Perse Artaxerxès II ou encore des Grandes Compagnies, au service des Anglais pendant la guerre Cent Ans. Parfois, l’emploi de ces soldats professionnels a donné lieu à des effets pervers, à l’image des difficultés rencontrées par les Carthaginois avec leurs mercenaires au moment de la Première guerre punique et qui dégénérent en guerre dite des Mercenaires.

Jusqu’au XVIIIe siècle, l’usage de ces sociétés de mercenaires était alors relativement courant, y compris sur les mers avec les corsaires qui avaient un mandat de leur gouvernement pour attaquer les vaisseaux des puissances concurrentes. Puis, après les mouvements révolutionnaires qui secouèrent l’Europe, la force étant devenue l’usage exclusif de l’Etat, le phénomène des sociétés de mercenaires fut éclipsé, jusqu’aux guerres coloniales du XXe siècle en Afrique, avec ceux que l’on surnomma les « Affreux », à la réputation plus que sulfureuse.

Il faut dire que pour certains Etats, ces mercenaires ont été bien utiles, en permettant ainsi de défendre des intérêts et des intentions peu louables sans avoir à se salir les mains. Actuellement, et notamment en France, le mercenariat est devenu, en 2003, une activité criminelle pour les citoyens et les résidents français.

Cependant, et depuis l’intervention américaine en Irak, on entend de plus en plus souvent parler de sociétés militaires privées (SMP), en raison des agissements de certaines d’entre-elles (et notamment de la compagnie américaine Blackwater) et des questions éthiques qu’elles soulèvent. Ce phénomène est tellement devenu à la mode que l’industrie du cinéma s’en est emparée à plusieurs reprises, comme avec, par exemple, le récent film « Jeux de Pouvoirs ».

En fait, les premières sociétés militaires privées sont apparues sur le devant de la scène dès la fin de la Guerre froide, si l’on excepte la milice privée Tatenokai (Société du Bouclier) créée par l’écrivain japonais Yukio Mishima dans les années 1960, forte de 300 hommes et dont l’objectif était de défendre l’empereur et les valeurs du Japon tradionnel. Cette dernière avait même obtenu le droit de s’entraîner avec les forces d’autodéfense japonaises et d’organiser des stages de combat et de guérilla.

Plusieurs facteurs expliquent cette éclosion de SMP. A la chute du Mur de Berlin, les restrictions budgétaires ont forcé de nombreuses armées à se restructurer et à changer de format, ce qui a conduit de nombreux professionnels mis sur le marché du travail à se tourner vers le secteur de la sécurité privée. En second lieu, l’éclatement du monde bipolaire a laissé libre court à une multiplication de conflits locaux, aux enjeux faibles, voire inexistants pour que les grandes puissances s’y intéressent. A cela s’ajoute la nécessité de protéger des intérêts privés, appartenant à des multinationales, dans des pays instables. Enfin, les armées nationales se sont recentrées sur leur métier de base et ont cédé à la tentation d’externaliser certaines missions et de les confier au secteur privé.

Les sociétés militaires privées possèdent en effet plusieurs compétences, que ce soit dans le domaine du consulting (Blackwater a formé 50.000 marines de l’US Navy suite à l’attentat contre l’USS Cole en 2000), du soutien logisitique, de la gestion des risques, du renseignement et certaines disposent même de capacités militaires purement opérationnelles.

Aux Etats-Unis, le Pentagone a su voir l’intérêt d’employer ces SMP en leur confiant certaines missions que les forces américaines ne sont pas en mesure d’assumer. La protection des ambassades, comme en Irak, peut en être un exemple.

Le dernier numéro de la revue Sécurité Globale s’est penché sur l’emploi possible des sociétés militaires privées par l’armée française. Le sujet des SMP est plus ou moins tabou en France et la criminalisation des activités mercenaires, comme on l’a vu plus haut, est l’illustration des réticences que ces dernières provoquent. Cependant, l’Etat-major des armées conduit actuellement une réflexion sur cette question.

Ainsi, selon Sécurité Globale, il pourrait être envisagé de faire appel à des sociétés militaires privées en situations opérationnelles et uniquement pour des fonctions de logistique et de soutien des forces selon quatre situations définies selon leur degré d’intensité conflictuelle. Mais bien évidemment, la limite est que les employés de ces prestataires privés, auxquels on peut même imaginer confier des missions de coopération militaire ou de renseignement, ne fassent pas usage de la « violence légitime », dont seuls les militaires sont dépositaires.

Note : Sécurité Globale n°8 – La privatisation de la guerre – Editions Choiseul

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]