Le jihad passe aussi par la Somalie

Depuis son indépendance en 1959, la Somalie n’a véritablement pas connu de réelle stabilité intérieure, notamment en raison de luttes claniques et de relations tendues, voire belliqueuses, avec ses voisins.

En 1969, un coup d’Etat renverse le président Abdirashid Ali Shermake. Un régime autoritaire, dirigé par Mohamed Siyad Barre se met alors en place. Cette période, qui va durer près de 20 ans, est marquée par guerre de l’Ogaden, qui a opposé la Somalie et l’Ethiopie, et surtout, par une famine endémique dans les années 1980. Finalement, le président Mohamed Siyad Barre est destitué en 1991 après des émeutes pour être remplacé par Ali Mahdi Muhammad. Commence alors une guerre civile qui continue encore actuellement.

L’intervention en Somalie de l’armée américaine de 1992, baptisée Restore Hope, se terminera sur un fiasco retentissant et les forces des Nations unies déployées dans le pays pour y maintenir un semblant de paix finiront par jeter l’éponge en 1995. Les autorités somaliennes en exil, reconnues par la communauté internationale, n’ont alors aucune prise sur le territoire qu’elles sont censées administrer.

Cependant, en 2006, une force, dirigée par Cheikh Hassan Dahir Aweys et Cheikh Sharif Sheikh Ahmed, émerge : il s’agit de l’Union des tribunaux islamiques, dont un des objectifs est d’étendre la charia à tout le pays. En juin, Mogadiscio, la capitale, tombe sous leur coupe à l’issue d’une bataille sanglante contre les « seigneurs » de guerre pour qui l’instabilité politique est une aubaine pour leurs trafics.

Mais l’Union des tribunaux islamiques ne s’arrête pas là : le mouvement déclare la « guerre sainte » au gouvernement somalien et à l’Ethiopie qui le soutient. Ce qui pousse Addis-Abeba à intervenir en Somalie pour en chasser les islamistes. L’offensive de l’armée éthiopienne et des forces gouvernementales est alors victorieuse : Mogadiscio est reprise, ainsi que des régions tombées précédemment aux mains des islamistes. Dans le même temps, c’est à dire en janvier 2007, l’armée américaine conduit plusieurs raids aériens contre des dirigeants présumés d’al-Qaïda, ou du moins de groupes proches de la nébuleuse terroriste.

Cependant, l’intervention militaire éthiopienne n’a pas mis un terme à l’activisme des combattants islamistes, tout comme d’ailleurs le déploiement de la force africaine de paix (Amisom). Le groupe radical des shebab n’entend pas rendre les armes et intensifie ses actions : il sera inscrit sur la liste des organisations terroristes par Washington. Par ailleurs, un nouveau mouvement voit le jour en septembre 2007 : en effet, l’Alliance pour une nouvelle libération de la Somalie (ARS) est créée. Le mouvement est toutefois dominé par les islamistes, au premier rang desquels on retrouve Cheikh Sharif Sheikh Ahmed.

En 2008, les accrochages et les combats se poursuivent. A Mogadisco, les combats opposant les insurgés islamistes aux forces gouvernementales soutenues par des unités éthiopienne font plus de 80 tués en avril. Et les islamistes progressent : en août, ils prennent Kismayo, dans le sud du pays, où ils proclament la charia.

Plus tôt, en juin, le gouvernement somalien et l’ARS signent un cessez-le-feu, doublé d’un accord politique, ce qui provoquent la rupture entre Sharif Sheikh Ahmed et Hassan Dahir Aweys. Le premier passe alors pour un « islamiste modéré » par comparaison au second. Par ailleurs, les Shebabs rejettent aussi toute forme d’accord avec les autorités somaliennes. Ces dernières s’empareront d’ailleurs de la province du Merka en novembre.

L’accord de cessez-le-feu conclu entre le gouvernement et l’ARS a des conséquences limitée sur l’insécurité dans le pays. Fin octobre, cinq attentats à la voiture piégée ciblent les Nations unies et des bâtiments officiels et tuent une vingtaine de personnes. Puis, en décembre, de guerre lasse, l’Ethiopie annonce le retrait de son contingent militaire du pays. Et le président somalien en exercice, Abdullahi Yusuf Ahmed, élu en octobre 2004, donne sa démission en exprimant son regret d’avoir échoué à mettre un terme à la guerre civile.

Finalement, le Parlement, élargi aux islamistes « modérés » et à la société civile, désigne pour lui succéder, en janvier 2009, à Djibouti, l’ancien dirigeant de l’Union des tribunaux islamiques, le cheikh Sharif Ahmed. Dans le même temps, et alors que les dernières troupes éthiopiennes quittent la Somalie, la ville de Baïdoa tombe entre les mains des Shebab. Et les violences se poursuivent : en février, 11 militaires de l’Amisom sont tués par un attentat revendiqué par les insurgés.

En avril, le Parlement somalien étend la charia à tout le pays. Ce vote, qui aurait dû calmer les ardeurs des radicaux, a eu l’effet inverse. Depuis le 7 mai, les Shebabs, aidés par des combattants du Hezb al-Islamiya du cheick Aweys, ont lancé une violente offensive avec l’objectif de renverser Sharif Ahmed.

Ennemie de l’Ethiopie, il semblerait que l’Erythrée pousse ses pions en Somalie dans le but évident d’installer un régime hostile à Addis-Abeba. Et qui plus est, les insurgés sont rejoints par des militants d’al-Qaïda, qui fuient le Pakistan où les zones dans lesquelles ils bénéficiaient d’une relative quiètude sont menacées par l’avancée de l’armée pakistanaise qui a reçu l’ordre d’éliminer les taliban.

Et l’Irak ne semble plus une destination très prisée pour les aspirants au jihad. Du moins si l’on en croit le général Ray Odierno, le commandant des forces américaines en poste à Bagdad. « Nous avons assisté à une baisse significative de l’afflux de combattants étrangers en Iral au cours des dix derniers mois » a-t-il récemment déclaré.

Par ailleurs, à l’occasion d’un message enregistré, Oussama ben Laden, le chef d’al-Qaïda a appelé, en mars dernier, à renverser le président Sharif Ahmed, considérant que la Somalie est « la première ligne de défense du sud-ouest du monde islamique ».

Quoi qu’il en soit, les voeux de ben Laden sont en passe de s’accomplir. La situation somalienne est telle que Sharif Ahmed a décrété l’état d’urgence, le 22 juin, devant la progression des radicaux islamistes. Les autorités ne contrôlent plus qu’une partie de Mogadiscio et une ville frontière, ce qui les a conduit à demander l’aide militaire de ses voisins pour combattre l’insurrection. Pour l’instant, cet appel est resté lettre morte. Le Kenya a fait savoir qu’il n’est pas question d’intervenir militairement et l’Ethiopie exige un mandat spécifique. Quant à l’Amison, et même si l’Union africain soutient le président Sharif Ahmed, ses effectifs sont loin d’atteindre le nombre requis il y en 2007, au moment de son installation.

Si rien n’est fait pour contrer l’avancée des radicaux islamistes en Somalie, alors ces derniers auront un nouveau sanctuaire, comme en Afghanistan avant la chute des taliban en 2001. Avec en plus un possible instrumentalisation de la piraterie maritime qui mobilise les marines occidentales et asiatiques. Enfin, il ne faut pas oublier non plus le désastre humanitaire : près de 3,2 millions de Somaliens ont besoin d’aide, selon l’ONU et d’après le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), plus de 126.000 personnes ont fui les affrontements depuis le début du mois de mai.

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