Les guerriers de la République

Dans son dernier ouvrage, l’historien Pascal Le Pautremat, spécialiste des crises et des conflits contemporains, lève une partie du voile qui entoure les forces spéciales et les services secrets français – et plus particulièrement la DGSE – en racontant leurs discrètes contributions aux différentes crises auxquelles la France a été impliquée au cours de ces quarante dernières années.

Pour commencer, l’auteur dresse le panorama de ces unités spéciales ainsi que celui de la chaîne du renseignement français. Avant de devenir une priorité après la publication du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, le renseignement a été le parent pauvre de la République, ce qui explique le relatif retard pris en ce domaine par la France par rapport aux pays anglo-saxons, qui ont sans doute moins de scrupules et certainement plus la culture de l’efficacité.

Un facteur d’explication fourni par Pascal Le Pautremat pourrait être le fait que les responsables politiques n’assument pas toujours les missions confiés à ces gens de l’ombre. Comme dans l’affaire du Rainbow Warrior où il évoque le sacrifice pour « raison d’Etat » des deux agents pris en Nouvelle-Zélande. Un « manque de respect le plus élémentaire » selon l’auteur, « vis-à-vis d’hommes et de femmes qui donnent tout pour leur pays ». « Mises en entre les mains de quelques technocrates opportunistes, ces personnes d’exception deviennent, en cas de complication, les victimes expiatoires des intriguants qui n’assument pas », poursuit-il.

En dépit du manque de financement et de reconnaissance, les unités spéciales et les « services » ont une force : celle de s’adapter et de faire d’une faiblesse une force. Par exemple, lors du conflit des Balkans dans les années 1990, malgré le retard technologique de la Direction du renseignement militaire (DRM) par rapport aux Américains pour traquer les criminels de guerre, la France a pu néanmoins tenir son rôle.

« La CIA s’appuie surtout sur des moyens technologiques et électroniques pour obtenir du renseignement » écrit Pascal Le Lautremat. « Les Français, eux, attachés – faute de moyens – au renseignement par moyens humains, apportent un précieux complément d’informations dans un pays (ndlr: la Bosnie) où le relief très accidenté et la végétation dense limitent d’autant l’efficacité du renseignement par imagerie ».

A la lecture de l’ouvrage de Pascal Le Lautremat, on prend conscience de l’évolution des missions et surtout du déplacement de « l’arc de crise » décrit d’ailleurs par le Livre blanc sur la défense. Ainsi, les années 1970-80 sont surtout marquées par l’interventionnisme de Paris dans son pré-carré africain, la « Françafrique », où les services français, appuyés par ce que l’on qualifiait à l’époque des « unités d’élite », étaient appelés à faire et à défaire les chefs d’Etat des anciennes colonies en fonction des intérêts économiques et stratégiques de la France. A dire vrai, cette dernière n’est pas la seule à s’impliquer dans ce « grand jeu » africain : d’autres nations s’y prêtent – ou s’y sont prêtées – comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la Chine mais aussi l’ancienne Union soviétique et Cuba.

A partir des années 1990, les missions évoluent et les zones d’intervention changent, même si l’Afrique tient encore une place importante. Mais il s’agit moins de renverser tel chef d’Etat indélicat que d’agir pour l’évacuation de ressortissants français et européens et d’éviter que des situations explosives sur le plan politique ne dégénère en bain de sang. L’apport des forces spéciales a ainsi été déterminant en Côte d’Ivoire, en novembre 2004, notamment après le bombardement par des pilotes mercenaires originaires d’Europe de l’Est du camp français de Bouaké. En revanche, leur déploiement au Rwanda n’a pas pu éviter le pire…

Depuis la chute du Mur de Berlin, la menace est devenue multipolaire, avec des risques d’éclatement régionaux. Et cela, sans oublier le développement de la piraterie maritime et le terrorisme. Bien évidemment, aussi bien les unités spéciales que la DGSE sont amenées à intervenir au plus près des foyers de tension, en amont des forces conventionnelles. « L’outil militaire le plus aiguisé est inopérant si l’information préalable est inexistante ou insuffisante. Avant toute prise de décision, les autorités politiques et militaires doivent en effet disposer de tous les renseignements nécessaires » écrit Pascal Le Pautremat.

Outre le renseignement, les forces spéciales et le la DGSE sont appelées pour des opérations coup de poing : tel a été le cas, à plusieurs reprises, pour libérer des otages aux mains des pirates somaliens ou encore en Afghanistan, pour traquer et contrer les activistes d’al-Qaïda et leurs alliés. L’auteur détaille les missions qui ont été confiées à ces combattants de l’ombre dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et la collaboration avec les Etats-Unis qui, par moment, à de quoi être déroutante quand l’on pense que les forces spéciales françaises n’ont pas reçu l’autorisation d’intervenir pour neutraliser Oussama ben Laden, alors à portée de leur fusils.

Cependant, l’avenir de ces « guerriers de la République » semble paradoxalement compliqué. Ces unités spéciales sont fortement sollicitées et les effectifs ne sont pas extensibles. S’ajoute à cela un problème de recrutement. « Les candidats susceptibles d’intégrer les services secrets ou les unités des forces spéciales sont non seulement moins nombreux mais témoignent aussi, dans les phases de sélection, d’une endurance et de capacités physiques inférieures à celles de leur aînés » constate Pascal Le Pautremat, qui parle de « crise » et de « malaise palpable » dont les décideurs politiques et militaires ne semblent pas en prendre la mesure. D’autant plus que certains militaires des forces spéciales préférent la vie civile pour exercer leurs talents au profit des Sociétés Militaires Privées (SMP) anglo-saxonnes, où la solde peut être quatre fois plus élevée. Et là encore, la France a encore quelques wagons de retard sur un phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur.

Référence : « Les Guerriers de la République, Forces spéciales et services secret français 1970-2009 », Pascal Le Pautremat, Choiseul Editions. (à noter que cette maison d’édition vient de publier le dernier numéro de Sécurité Globale, dont le thème est justement la « Privatisation de la guerre ».

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