La France et l’Otan en questions

Alors que le retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’Otan sera débattu ce 17 mars à l’Assemblée nationale, Zone Militaire fait le point sur cette question.

1- Pourquoi le général de Gaulle a-t-il décidé de quitter l’Otan?

Tout d’abord, la France n’a quitté que la structure militaire de l’Otan sans remettre en cause le traité de l’Atlantique nord qu’elle a signé en 1949. Pour comprendre la décision du général de Gaulle, il faut se replonger dans le contexte géopolitique de l’époque.

Quel était-il? Le monde se partageait essentiellement en deux blocs : l’un appartenant à la sphère d’influence soviétique, avec le Pacte de Varsovie et l’autre, à celle des Etats-Unis, avec l’Otan. Au niveau militaire, les Européens dépendaient essentiellement des Américains, qui, via notamment le Plan Marshall, leur avaient fournis, quelques années plus tôt, l’armement nécessaire à leur sécurité. Cette dependance permettait alors à Washington de garder la main-mise sur l’Otan face à la menace que faisait planer l’Union soviétique sur l’Europe occidentale. Cette influence était d’autant plus importante que les Etats-Unis étaient le garant du parapluie nucléaire censé protéger les Etats membres de l’Otan. Elle aura permis de forcer la main à la France et à la Grande-Bretagne lors de l’affaire de Suez en 1956.

Après son accession au pouvoir en 1958, le général de Gaulle a commencé peu à peu à vouloir donner à la France davantage de marge de manoeuvre. L’entrée de Paris dans le club des puissances nucléaires – contre le voeu de Washington – a changé la donne. Parallélement au développement de sa force de dissuasion, la France a remis en ordre son industrie de l’armement, dont le symbole, à l’époque, pourrait être le Mirage III de Dassault. Ainsi, les Français étaient en mesure d’assurer leur propre sécurité sans avoir recours nécessairement aux Etats-Unis puisqu’ils étaient devenus militairement indépendants.

« Il nous paraît que la défense d’un pays, tout en étant combinée, bien entendu, avec celles d’autres pays, doit avoir un caractère national (…). La France ne peut évidemment pas laisser son propre destin et même sa propre vie à la discrétion des autres. Voilà ce que la France entend par la réforme de cette organisation atlantique, tout en répétant qu’il ne s’agit absolument pas de se séparer les uns des autres, car jamais l’Alliance atlantique n’a correspondu à un besoin aussi profond » avait déclaré le général de Gaulle, dès le 5 septembre 1960.

Sur le plan diplomatique, la France a pu ainsi mener une politique située en dehors des deux blocs – que l’on pourrait qualifier de « troisième voie » – tout en restant aux côtés des Américains. La France reste « prête à combattre aux côtés de ses alliés au cas où l’un d’entre eux serait l’objet d’une agression qui n’aurait pas été provoquée » avait écrit le général dans la lettre de « rupture » (de Gaulle préfére l’expression de « nécessaire adaptation ») adressée à son homologue américain, Lyndon B. Johnson, le 7 mars 1966, paraphrasant l’article 5 du traité de l’Atlantique nord. Ainsi, après sa sortie des instances militaires de l’Alliance, Paris reconnaît l’existence de la République populaire de Chine et établit une relation directe avec l’Union soviétique.

2- La décision du général de Gaulle a-t-elle fait l’objet d’un consensus en France?

La décision du général de Gaulle peut paraître assez brutale, plus de quarante ans après qu’elle ait été prise. En fait, tout laissait croire que l’on pouvait s’y attendre. Le 11 mars 1959, de Gaulle décide que la flotte française basée en Méditerranée devra quitter le commandement de l’Otan. Deux mois plus tard, il annonce que les Etats-Unis n’auront plus le droit de stocker des armes nucléaires sur le territoire français. En 1962, les forces françaises de retour d’Algérie, après  l’indépendance de ce pays, ne sont plus mises à la dispostion de l’Otan, à l’instar de l’ensemble des unités de la Marine nationale deux ans plus tard.

Au plan politique, le départ de la France des structures militaires de l’Alliance atlantique est soutenu par la majorité gaulliste et, comme on pouvait s’y attendre, par les communistes. En revanche, les socialistes et les centristes s’y opposent fermement. Pour François Mitterrand, qui a mis en ballotage le général de Gaulle lors de l’élection présidentielle de 1965, cette décision est le reflet « d’une volonté d’isolement fondée sur l’idée que le nationalisme est la vérité de notre temps ». Celui qui finira par s’installer à l’Elysée en 1981 parle alors même de « poujadisme aux dimensions de l’univers ».

3- Quelles ont été, pour la France, les conséquences de son retrait du commandemement militaire intégré?

Après la décision de 1966, la France a continué de participer au Conseil atlantique. En 1967, les accords Lemnitzer-Ailleret (le premier étant le général commandant en chef de l’Otan et le second, le général français, chef d’état-major des armées) ont fixé le cadre de la collaboration entre les forces françaises et celles de l’Otan an cas de conflit. Même en dehors de la structure militaire, la France restait, à l’époque, un élément essentiel dans la défense de l’Europe.

Si les Soviétiques se sont réjouits de la décision du général de Gaulle, le président américain Lyndon B. Johnson ne l’a pas vraiment appréciée. Les relations franco-américaines s’amélioreront en 1968, avec l’arrivée à la Maison Blanche du républicain Richard Nixon, mieux disposé à l’égard de Paris que ne l’était son prédecesseur. Cette détente fera que le général de Gaulle renouvellera l’adhésion de la France au Pacte Atlantique, qui arrivait à terme en 1969.

Au niveau européen, le retrait de la France du commandement militaire intégré aura donné lieu à des manifestation hostiles, notamment en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas et suscité de l’inquiètude chez les dirigeants allemands.

« Au total, il s’agit de rétablir une situation normale de souveraineté, dans laquelle ce qui est français, en fait de sol, de ciel, de mer et de forces, et tout élément étranger qui se trouverait en France, ne relèveront plus que des seules autorités françaises » déclare le général de Gaulle, le 21 février 1966. En clair, cela signifie le transfert du SHAPE en Belgique et la fermeture des 29 bases militaires américaines présentes en France et le départ de 100.000 personnes (28.000 soldats avec leur famille). Cela provoquera la perte de 18.000 emplois indirects, ce qui fera l’objet d’une grande manisfestation, organisée à Paris le 16 octobre 1966.

4- Quelles sont les relations actuelles de la France avec l’Otan?

Comme on l’a vu avec les accords Lemnitzer-Ailleret de 1967, la France a conservé des liens étroits avec le commandement militaire intégré de l’Otan après son choix de le quitter. Les successeurs du général de Gaulle vont les resserrer encore davantage au fil des années. Ainsi, en 1983, François Mitterrand, qui bien qu’hostile à la mesure prise en 1966, ne fera pas machine arrière pour autant après son élection en 1981, sera favorable la décision de l’Otan de répondre au déploiement de missiles soviétiques SS-20 en RDA par l’installation de fusées Pershing en Allemagne de l’Ouest. Selon le Figaro, le président Mitterrand aurait même songé faire revenir la France au commandement militaire intégré dès la fin 1990.

« Pendant trois ou quatre mois, à l’automne 1990, des conversations exploratoires réunissent quatre ambassadeurs – français, américain, allemand et britannique -à l’Otan. Les Français, déjà, voulaient reprendre toute leur place, réformer l’Otan et créer un pilier européen au sein de l’Alliance » a ainsi expliqué au journal Frédéric Bozo, professeur à l’université Paris III et spécialiste des questions liées à l’Alliance atlantique. Ces négociations n’aboutiront pas, « parce que sur le fond, les Français s’intéressaient davantage à l’identité européenne de défense qu’à la réforme de l’Alliance », selon Gabriel Robin, l’ambassadeur en charge du dossier à l’époque.

En 1993, pour la première fois, la France participe à une opération de l’Otan. Il s’agit d’instaurer une zone d’interdiction aérienne au-dessus de la Bosnie-Herzégovine, alors en proie à la guerre. Bon an mal an, Paris s’est vu contraint de se rapprocher du commandement intégré afin d’être impliqué dans la planification des opérations. Et un an plus tard, la France siège à nouveau – mais épisodiquement – au comité militaire de l’Otan, avant de le réintégrer pleinement en 1996, après l’élection de Jacques Chirac.

Sous la présidence de ce dernier, la France va participer à plusieurs opérations majeures sous la bannière de l’Otan : la Bosnie en 1995, le Kosovo en 1999 et l’Afghanistan à partir de 2001. Des forces françaises sont donc ainsi mises à la disposition de l’Otan, y compris pour sa force de réaction rapide, et Paris envoie également des militaires au sein de différents commandements de l’Alliance. La France aurait pu revenir à la position qui était la sienne avant 1966 si les Etats-Unis avaient répondu favorablement, en 1997, à la demande du président Chirac de d’attribuer le commandement de la zone sud de l’Europe à un officier général européen. Mais, étant donné que ce dernier aurait eu une autorité sur la VIe Flotte de l’US Navy en Méditerranée, Washington avait refusé.

En 2007, le président Sarkozy, fraîchement élu, fait part d’un éventuel « mouvement » de la France vers l’Otan, dans un entretien accordé au New York Times. En clair, le chef de l’Etat met dans la balance le retour au sein du commandement intégré de l’Otan contre des avancées en matière de défense européenne et « une place dans des instances de direction, au plus haut niveau ». Nicolas Sarkozy a eu l’occasion de s’exprimer à nouveau sur ce sujet lors du sommet de l’Otan en avril 2008, de la présentation du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale en juin de la même année ou encore au moment de son intervention dans le cadre d’un colloque organisé par la Fondation pour la recherche stratégique, organisé à l’Ecole militaire le 11 mars dernier.

Actuellement, la France est le 4e pays contributeur de l’Otan, que ce soit au niveau des troupes ou en termes financiers, sans pour autant exercer le moindre commandement et ainsi avoir accès aux leviers de décisions. En 2008, outre la mission en Afghanistan, l’armée française a conduit des opérations ponctuelles pour le compte de l’Alliance, notamment en assurant la sécurité aérienne de l’Islande.

5- La réintégration de la France peut-elle favoriser la défense européenne?

Le retour de Paris dans les structures militaires intégrées de l’Otan est « dans l’intérêt de la France et de l’Europe » a affirmé, le 11 mars, le président Sarkozy. Le problème est que la plupart des pays membres de l’Union européenne comptent davantage sur l’Otan pour assurer leur sécurité que sur une éventuelle défense commune, portée jusqu’à présent par la France et suspectée de se faire contre l’Alliance, du fait même que Paris est absent du commandement militaire intégré. Par ailleurs, la garantie offerte par la puissance militaire américaine a dispensé bien des pays européens d’accomplir des efforts budgétaires en faveur de leurs forces armées. C’est ce qui explique, en partie, la relative faiblesse des dépenses militaires au niveau européen, à l’exception de celles de la Grande-Bretagne et de la France, les deux seules nations occidentales du Vieux continent à disposer de l’arme nucléaire.

Ainsi, la réintégration de la France au sein du commandement de l’Otan pourrait éventuellement faire avancer la défense européenne si cette dernière n’est plus perçue comme une concurrente de l’Alliance atlantique. Le conditionnel est important : c’est un pari que tente le président Sarkozy. Cela étant, la situation actuelle n’a pas davantage favorisé l’Europe de la défense, notamment depuis 1998 et le sommet franco-britannique de Saint-Malo

6- Les conditions posées par Nicolas Sarkozy ont-elles été remplies?

Au niveau de la défense européenne, la présidence française de l’UE a permis de faire avancer plusieurs dossiers, ce qui a été rendu possible, selon Hervé Morin, le ministre de la Défense, par les démarches entreprises par Paris pour réintégrer les instances militaires de l’Alliance.

Ainsi, plusieurs projets ont vu le jour en décembre 2008 : la mise sur pied d’un groupe aéronaval européen ainsi que d’une flotte mutualisée d’avions de transport, le programme de renseignement par satellite Musis – porté par la France, l’Italie et l’Allemagne – qui devrait profiter à l’ensemble des Etats membres de l’Union, la rénovation de la flotte d’hélicoptères des pays de l’Europe de l’Est, le réseau de surveillance maritime des côtes européennes et l’application du système Erasmus aux écoles militaires.

Quant aux responsabilités attribuées à la France, Paris serait en passe d’obtenir le commandement chargé de la transformation des forces (ACT) de Norfolk et celui de la Force de réaction rapide de Lisbonne. Ces deux postes sont actuellement occupés par des généraux américains. Le fait qu’ils puissent revenir à la France serait le signe d’une « européanisation » de l’Otan.

7- Au niveau politique, qui s’oppose à ce retour de la France au sein du commandement militaire intégré de l’Otan?

Paradoxalement, les partis politiques qui étaient contre la décision de 1966 se disent aujourd’hui défavorables au retour de la France dans les structures militaires de l’Otan. C’est le cas du Parti socialiste dont les responsables doutent des gains réels que la France pourra retirer de cette opération, tout en mettant en avant le possible alignement de la diplomatie française sur celle des Etats-Unis. Les arguments sont quasiment les mêmes chez François Bayrou, pourtant issu d’une famille politique naguère très atlantiste et opposée aux vues du général de Gaulle.

A droite, la décision présidentielle ne fait pas non plus l’unanimité. Ancien premier ministre de Jacques Chirac entre 1995 et 1997, Alain Juppé a exprimé ses doutes dans une tribune publiée par le quotidien Le Monde. Pour Dominique de Villepin, qui a occupé, de 2005 à 2007, les mêmes fonctions que l’actuel maire de Bordeaux, il s’agit d’une « faute ».

Enfin, toujours à droite, les « souverainistes » affichent la même position que Dominique de Villepin. Ainsi, le député Jacques Myard parle également de « faute diplomatique » pendant que Nicolas Dupont-Aignan évoque une France « soumise » et que Philippe de Villiers estime que Paris « aliène sa liberté ».

8- La France va-t-elle perdre son indépendance militaire et diplomatique?

La France ne réintégrera pas le Groupe des plans nucléaires car elle entend garder l’autonomie de sa force de frappe. Par ailleurs, chaque Etat membre décide de lui-même du niveau de sa participation aux opérations décidées par l’organisation. Ainsi, la Grèce n’a pas pris part aux opérations de l’Otan au Kosovo, en 1999, visant à protéger les populations d’origine albanaises de cette ancienne province serbe.

Cela étant posé, la France sera-t-elle obligée de suivre la politique édictée à Washington? Tout dépendra des dirigeants qui auront à assurer la destin du pays. Les décisions au niveau de l’Alliance se prennent à l’unanimité et c’est une règle qui n’est pas prête de changer.

Lors de l’affaire irakienne, l’Allemagne et la Turquie n’ont pas voulu suivre et soutenir l’intervention militaire des Etats-Unis, les Turcs ayant même été jusqu’à refuser le passage de troupes américaines sur son territoire.

« Je sais que les décisions au sein de l’Otan se prennent à l’unanimité. Mais j’ai vécu la crise irakienne. Et je sais qu’il est extrêmement difficile de résister à la pression exercée par les Américains quand ils considèrent qu’il y va de leur propre sécurité » a cependant fait valoir Dominique de Villepin, qui avait défendu la position de la France au Conseil de sécurité de l’ONU concernant l’Irak.

« Je sais bien que ça ne remet pas en cause (ndlr : le retour dans l’Otan) l’indépendance de la France et que c’est une affaire plutôt symbolique » a reconnu Jean-Michel Boucheron, spécialiste des questions de défense au Parti socialiste, à l’antenne d’Europe 1, le 15 mars.

Enfin, il est à noter que les Etats-Unis n’imposent plus systématiquement leurs vues aux membres de l’Otan. Si tel était le cas, il y aurait longtemps que l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie aurait été acquise sans l’opposition de la France et de l’Allemagne lors du sommet de l’Alliance d’avril 2008 à Bucarest.

9- L’Otan est-elle un « clan occidental »?

Le président Sarkozy a employé le terme de « famille occidentale ». D’ailleurs, ses opposants lui reprochent d’enfermer la France dans une position qui ne lui permettrait plus de faire le lien entre l’Orient et l’Occident, le Nord et le Sud.

En fait, ceux qui affirment cela sont souvent également les avocats de la défense européenne. Seulement, l’Otan compte parmi ses membres la Turquie, pays à majorité musulmane qui ne fait pas partie de l’Union européenne.

En janvier 2007, le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, alors en visite officielle à Bruxelles, avait indiqué son souhait d’établir une coopération renforcée avec l’Otan. Mieux encore : en 2006, les Etats-Unis avaient suscité le débat en proposant des partenariats avec la zone Asie-Pacifique, ce qui avait valu, à l’époque, l’opposition de l’Espagne, des Pays-Bas et du Portugal.

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