Vers l’ultra-terrorisme

Les attentats du 11 septembre 2001 ont fait entrer le monde dans l’ère de l’hyper-terrorisme de par leur ampleur. Selon un document de la Commission sur la prévention de la prolifération des armes de destruction massives et du terrorisme du Congrès des Etats-Unis, on pourrait bientôt être amenés à parler « d’ultra-terrorisme ».

« Sans mesures très rapides et très fermes, il est plus que probable qu’une arme de destruction massive va être utilisée dans un attentat, quelque part dans le monde d’ici fin 2013 » ont estimé les auteurs de ce rapport, qui ont consulté, depuis mai dernier, près de 200 experts sur cette question. « La menace plus probable du bioterrorisme devrait être mise sur un pied d’égalité avec la menace plus dévastatrice du terrorisme nucléaire », ont-ils encore avancé.

La Commission, co-présidée par Bob Graham, un ancien sénateur démocrate de Floride et James Talent, un ancien parlementaire républicain du Missouri, recommande au président prochainement investi, Barack Obama, de prendre des « mesures conséquentes » susceptibles d’atténuer cette menace.

Parmi celles-ci, le rapport préconise une attitude intransigeante des Etats-Unis à l’égard de l’Iran et de la Corée du Nord et agir pour faire en sorte que ces deux Etats ne puissent pas augmenter leurs stocks d’uranium enrichi et de plutonium.

Préparer un attentat nucléaire n’est pas une mince affaire pour un groupe terroriste, à qui il serait plus facile de se procurer des armes bactériologiques ou chimiques qui auraient un impact tout aussi fort. D’ailleurs, par le passé, une attaque chimique a déjà eu lieu au Japon, en 1995. Cette année-là, la secte Aoum avait dispersé du gaz sarin dans le métro de Tokyo.

Par ailleurs, l’organisation d’un attentat nucléaire n’est pas à la portée de tous les réseaux terroristes. Cela demande non seulement des moyens et surtout du temps. Or, pour la plupart d’entre eux, le recours à l’action violente est souvent lié à des visées politiques et à l’actualité immédiate, comme par exemple la libération de prisonniers ou la destabilisation d’un Etat à l’approche d’élections. Cependant, la situation est différente pour al-Qaïda, caractérisée par le fanatisme religieux et dont un des objectifs et de porter le fer en Occident afin d’établir un « califat » à l’échelle mondiale.

De plus, Oussama Ben Laden avait déclaré qu’il était « du devoir » de son organisation d’acquérir une bombe nucléaire pour punir les Américains et les Israéliens pour leurs actions envers le monde musulman. Or, pour réaliser un attentat nucléaire, il existe deux possibilités pour un réseau terroriste : soit il la développe lui-même, soit il en acquiert une.

En effet, on peut imaginer qu’un groupe tel qu’al-Qaïda soit en mesure de fabriquer une bombe A, dont le concept est le plus simple. Cependant, au moins deux obstacles techniques sont à franchir.

Le premier est l’aspect de l’arme, ce qui est déterminant pour ensuite pouvoir la déplacer et la déposer en toute clandestinité. Cet aspect n’est pas une mince affaire quand l’on pense que les ingénieurs français ont mis près de quatre années pour rendre opérationnelle la première bombe A équipant les Mirage IV après l’essai, en février 1960, du premier engin atomique, appelé « Gerboise bleue », qui avait une forme cubique d’un mètre de large.

Le second écueil est la maîtrise de la détonique, c’est à dire du moyen de faire exploser une bombe A pour créer la réaction en chaîne qui va libérer l’énergie destructrice. Le degré de difficulté dépend du matériau radioactif utilisé. La mise au point est en effet plus abordable avec de l’uranium enrichi mais elle est nettement plus compliquée avec du plutonium, qui nécessite plusieurs détonations quasi simultanées (de l’ordre de la nano-seconde) pour fonctionner.

Quant aux matériaux radioactifs, leur acquisition ne pose pas le plus de problèmes. Aucun groupe terroriste n’est capable de produire par lui-même de l’uranium enrichi nécessaire à la fabrication d’une arme nucléaire. Cela demande des infrastructures qui ne sont accessibles que pour un Etat. En revanche, il est relativement plus simple de s’en procurer au marché noir. Ainsi, avant 2001, le chef d’al-Qaïda aurait demandé à deux scientifiques pakistanais d’examiner de l’uranium acheté en Ouzbekistan. Ce dernier n’étant pas assez enrichi, il ne pouvait servir à fabriquer une bombe.

Si la mise au point d’une arme nucléaire est trop compliquée, en acquérir une serait en revanche plus facile, du moins en théorie. D’ailleurs, durant l’été 1998, Ben Laden aurait mis sur la table 30 millions de dollars ainsi que 2 tonnes d’opium afghan pour se procurer une vingtaine de têtes nucléaires auprès des islamistes tchétchènes. Ces derniers prétendaient les avoir volées au cours de raids menés contre des bases russes. Selon toute vraisemblance, cette transaction n’aurait pas abouti grâce au FSB, le successeur du KGB. (1)

Mais pour acheter une telle arme, encore faut-il qu’il y en ait sur le marché. En 1991, en plein effondrement de l’empire soviétique, Dick Cheney, alors secrétaire à la Défense, avait estimé que, sur les 25.000 à 30.000 armes nucléaires détenues par Moscou, au moins 250 d’entre elles étaient susceptibles de se retrouver dans la nature. Cette hypothèse était la plus optimiste : elle se basait sur la capacité des Russes à garantir le contrôle de 99% de leur arsenal, un objectif par ailleurs difficile à atteindre.

Hormis la possibilité d’acheter des armes nucléaires d’origine soviétique, un groupe terroriste peut éventuellement s’en procurer auprès d’un Etat voyou, tels que l’Iran et la Corée du Nord, à condition qu’il ait réussi à en mettre au point au moins une, ou bénéficier de complicités au sein d’un pays instable politiquement, comme l’est actuellement le Pakistan, seul pays musulman à détenteur du feu nucléaire.

« Le Pakistan est notre allié mais il y a un sérieux danger qu’il devienne le berceau involontaire d’un attentat terroriste aux Etats-Unis, peut-être avec des armes de destruction massive », souligne le rapport de la Commission du Congrès américain. Une possible collusion entre des responsables de la filière nucléaire pakistanaise avec des groupes terroristes fondamentalistes très présents dans le pays est loin d’être une perspective réjouissante.

(1) Marianne, « Ben Laden et la menace nucléaire », 8 juillet 2002

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